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| Une réécriture comptable doublant les pertes de 2023/2024 pour clôturer son premier mandat, Laporta a joué avec les comptes du Barça pour tout corriger au dernier moment. Crédit image : FC Barcelona |
Barça Vision s'est dégonflée. C'est ce que révèlent les comptes annuels 2024/2025 du FC Barcelona, approuvés par les socios délégués lors de l'assemblée générale du 19 octobre 2025. Après un an d'incertitude autour de la valorisation de cette branche numérique, le conseil d'administration présidé par Joan Laporta a finalement dû se plier aux injonctions des auditeurs. Résultat : une dépréciation totale de 138,74 millions d'euros, étalée sur deux exercices, pour ramener la valeur des 53,4 % détenus par le club de 208,24 à 95,19 millions d'euros.
Barça Vision, un virage numérique à double visage
Lancé en 2022 comme un relais de croissance via la filiale Bridgeburg Invest, le projet Barça Vision devait incarner la stratégie du FC Barcelona dans le métavers, des fan tockens et le Web3. L'objectif affiché : diversifier les sources de revenus du club et attirer des capitaux externes pour accélérer la croissance des activités numériques présentées comme l'un des piliers du modèle économique futur du Barça.
Valorisée à 408 millions d'euros, Bridgeburg Invest a vu 49 % de son capital cédés en août 2022 à Socios.com et Orpheus Media pour 200 millions d'euros. Deux transactions simultanées, conclues en plein mercato estival, dont le véritable enjeu était avant tout comptable et réglementaire : améliorer la limite salariale imposée par LaLiga afin de pouvoir enregistrer les nouvelles recrues.
Pour le grand public, plus attentifs aux transferts qu'aux bilans, l'opération est un succès immédiat, car elle a permis au Barça de garantir la disponibilité de 20 millions d'euros sur les 200 millions convenus avec les partenaires, permettant de boucler le mercato.
Pour les puristes de la finance, cette injection de liquidité reposait sur des bases fragiles. Les 180 millions restants devaient être versés sur trois ans, par tranche de 60 millions. Mais le point le plus critique tenait à la valorisation de cette filiale : elle dépendait entièrement d'une projection de revenus dans une activité naissante et dont la consolidation économique était encore incertaine.
La situation économique du club imposait pourtant ce jeu comptable pour assouvir les ambitions sportives tout en comblant au plus vite le lourd déficit hérité par le conseil d'administration de Joan Laporta.
Pour rappel, lors de l'exercice 2020/2021, le club avait procédé à un "nettoyage du bilan" en dévalorisant massivement la valeur comptable de ses joueurs — une stratégie destinée à maximiser les plus-values en cas de vente ultérieure.
Résultat : une perte nette historique de 481,32 millions d'euros, en raison de ce mouvement comptable et de la forte contraction des revenus issue de la pandémie de Covid-19. Ce déficit a plongé le patrimoine net du Barça dans le rouge et contraint la direction à multiplier les opérations "coups de poing" pour jouer avec les règlements financiers de LaLiga et de l'UEFA.
La première mesure de redressement tangible a été la cession de 25 % des droits audiovisuels de LaLiga à Locksley Invest, une entreprise créée avec Sixth Street (51 %), le club conservant 49 %. Cette opération, répartie sur deux exercices (2021/2022 et 2022/2023), a généré une plus-value cumulée de 667,50 millions d'euros.
La vente initiale de 10 % des droits en 2021/2022 (apport de 267,09 millions), combinée à la reprise économique post-Covid, a permis de dégager un résultat net de 97,58 millions d'euros, faisant remonter le patrimoine net du club de -450,73 millions à -353,21 millions d'euros en un an.
La saison 2022/2023 a coïncidé avec la vente des 15 % restants des droits audiovisuels, mais aussi avec les opérations de Bridgeburg Invest. Les bénéfices issus de Locksley Invest ont fortement amélioré les plus-values sur cession, tandis que la valorisation comptable de Bridgeburg Invest a ajouté 208,24 millions d'euros dans le compte de résultat.
Au total, le FC Barcelona affichait alors un résultat net record de 351,57 millions d'euros. Sur le plan comptable, le club semblait à un pas de retrouver l'équilibre patrimonial (-1,71 million d'euros à la clôture de l'exercice). Mais la réalité économique était tout autre : les investisseurs de Bridgeburg Invest ne respectaient pas leurs échéances, et la contribution réelle de la filiale aux comptes consolidés restait trop faible pour justifier sa valorisation initiale.
La danse des actionnaires et des impayés
L'été 2023 a été particulièrement mouvementé. Les paiements attendus de Socios.com et d'Orpheus Media, qui auraient dû parvenir en juin, n'étaient jamais arrivés, poussant le club à chercher de nouveaux investisseurs pour combler le manque.
Sans être dans le secret du conseil d'administration, chez Foot Espagne Business, nous avons toujours considéré que ces deux partenaires initiaux n'étaient que des solutions de court terme, destinées à gagner du temps en attendant l'arrivée d'investisseurs plus solides et engagés.
Leur versement initial de 20 millions d'euros en août 2022 avait certes permis au club de faire face à ses urgences financières liées au mercato, mais aucun des deux acteurs ne semblait prêt à s'impliquer durablement dans le projet, ni à honorer les 180 millions restants.
La suite des événements, notamment avec Orpheus Media, nous a partiellement donné raison.
Lors de la transaction initiale de 2022, Orpheus Media, société fondée par Jaumes Roures, cofondateur de Mediapro (qu'il a quittée récemment), détenait 24,5 % de Bridgeburg Invest pour une valeur de 100 millions d'euros. Sur les 20 millions d'euros encaissés par le Barça à l'époque, 10 millions provenaient de la participation d'Orpheus.
Un an plus tard, Orpheus Media a transféré la majeure partie de ses parts à de nouveaux entrants, Libero Football Finance et Vestigia, ne conservant qu'une participation résiduelle de 2,4 % après cette deuxième opération. Les 90 millions d'euros restants dus par Orpheus ont ainsi été directement transférés aux deux nouveaux partenaires, qui se sont engagés à reprendre ses obligations financières.
En avril 2024, le FC Barcelona, via sa filiale Barça Produccions, a finalement racheté les 2,4 % restants à Orpheus pour 10 millions d'euros — soit exactement le montant initial investi par l'entreprise de Roures près de deux ans plus tôt. Cette opération a acté le désengagement total d'Orpheus Media du projet Barça Vision.
De son côté, socios.com, qui entre-temps a transféré sa participation à sa filiale Blaugrana Invest, a cédé 7,4 % de son capital, tout en conservant une part plutôt importante.
Si cette deuxième opération, menée le 11 août 2023, a été présentée médiatiquement comme nouvelle levée de fonds, elle n'était en réalité qu'une réorganisation interne de l'actionnariat, visant à intégrer de nouveaux entrants chargés de régler les créances impayés des investisseurs précédents. La seule nouveauté était l'entrée en bourse envisagée en fusionnant la filiale avec une SPAC, un vœu pieux qui ne verra jamais le jour.
Selon les documents transmis à la SEC, l'un de ces nouveaux partenaires, Libero Football Finance, s'était engagé à investir 39,9 millions d'euros pour l'ensemble de sa participation, dont 20,10 millions devait être versés au plus tard le 31 août 2023. Mais dans les faits, aucun paiement n'a été effectué à cette date.
Cette créance impayée de Libero allait, un an plus tard, provoquer une nouvelle réorganisation du capital de Bridgeburg Invest — celle de trop, aux yeux des auditeurs des comptes du Barça, Grant Thornton.
Une injonction de déprécier
Le défaut de paiement de Libero Football Finance a provoqué de fortes secousses dans la valorisation de Bridgeburg Invest et ouvert un litige juridique entre le FC Barcelona et l'entreprise allemande. L'ambition d'une entrée en bourse de la filiale s'est effondré à cause de cet impayé, mais l'étape la plus critique pour le club est venue de son auditeur externe.
A la clôture de l'exercice 2023/2024, le cabinet Grant Thornton a émis des réserves sur la fiabilité du projet Barça Vision et a exigé une dépréciation de la participation détenue par le club. De son côté, le conseil d'administration a préféré prolonger le jeu des écritures : convaincu que la filiale pouvait encore se redresser, il a continué à sonder de nouveaux partenaires.
L'entrée d'Aramark, en août 2024, rachetant 6,1 % des 9,8 % détenus par Libero pour 25 millions d'euros, est venue apporter un souffle artificiel. Bien que cette transaction soit intervenue après la clôture de l'exercice, et n'a pas donc pu être prise en compte dans les comptes 2023/2024, elle a servi de faire valoir au club pour confronter les réserves de son auditeur.
Toutefois, à la clôture de l'exercice 2023/2024, le 30 juin, le club a choisi de provisionner 135 millions d'euros au titre de créances douteuses, conformément aux exigences comptables, tout en refusant d'ajuster la valorisation de sa filiale.
Cette provision, présentée comme la principale cause des 91 millions de pertes nettes, a suscité l'incompréhension de certains socios lors de l'assemblée générale — même si les comptes ont finalement été approuvés.
Le jeu était pourtant terminé. La supercherie comptable avait assez duré, et la direction en avait pleinement conscience. Mais il fallait encore présenter des comptes supportables, éviter un déséquilibre trop flagrant tant que les revenus d'exploitation du club n'étaient pas suffisants pour absorber les pertes liées à Bridgeburg Invest.
L'occasion s'est présentée au cours de l'exercice 2024/2025. Bien que le retour au Camp Nou, initialement prévu durant la saison, n'ait pas eu lieu, le FC Barcelona a amélioré ses recettes ordinaires, atteignant 964,20 millions d'euros — un record historique, dépassant pour la première fois le niveau des 836,76 millions enregistrés en 2018/2019.
Le renouvellement du contrat avec Nike et les meilleures performances sportives de l'équipe première ont agi comme catalyseurs de cette progression.
Toutefois, avant de se conformer pleinement aux exigences de Grant Thornton, remplacé fin 2024 par Crowe Auditores Espana, le conseil d'administration a entrepris quelques démarches préalables.
Le cabinet KPMG a été sollicité pour avis indépendant, dont la conclusion s'est révélée sans appel : Bridgeburg Invest devait être réévaluée à la baisse.
En avril 2025, la filiale a été absorbée par Barça Produccions, sa société mère au sein de l'écosystème économique du club, préparant ainsi sa nouvelle configuration comptable et la reconnaissance officielle de sa perte de valeur.
La fin du game
La dépréciation de Bridgeburg Invest a finalement été appliquée de manière rétroactive, avec un impact majeur sur les comptes 2023/2024, pourtant déjà approuvés un an plus tôt. Sur les 208,24 millions initialement inscrits à l'actif, le FC Barcelona a reconnu une perte totale de valeur de 138,72 millions d'euros :
- 86,14 millions imputés à l'exercice 2023/2024,
- et 52,57 millions à celui de 2024/2025.
La réécriture des comptes de 2023/2024 a donc profondément creusé le déficit de cet exercice, passé de 90,54 millions à 180,35 millions d'euros, entraînant de facto une chute du patrimoine net à -134,55 millions d'euros.
Pour l'exercice 2024/2025, malgré un résultat d'exploitation positif de 71,27 millions d'euros — et cette fois sans recours aux palancas —, le club clôture la saison avec une perte nette de 16,95 millions d'euros.
Avec Bridgeburg Invest, Barça Vision, Barça Produccions ou Barça Media, tellement les noms ont été nombreux, le FC Barcelona aura gonflé artificiellement ses comptes au moment opportun, en sachant pertinemment que le retour de bâton finirait par arriver. Tout n’aura été qu’une question de calcul : accepter le dégonflement lorsque le club disposerait d’un coussin suffisant pour absorber le choc sans afficher un résultat catastrophique.
L’Espai Barça, dont le fonds de titrisation a été sorti du périmètre de consolidation, devait constituer ce coussin comptable. Mais en réalité, c’est le renouvellement du contrat avec Nike qui aura servi de véritable bouée de sauvetage, permettant au club de résister à la pression des auditeurs et de sauver les apparences.
Le jeu du chat et de la souris aura duré trois ans, sous les yeux parfois trop confiants d’une assemblée générale de socios ayant approuvé les ventes d’actifs sans toujours saisir les mécanismes comptables complexes mis en œuvre par la direction.
Il faut le reconnaître : pour la majorité, l’essentiel reste le terrain et les résultats sportifs. Les finances, elles, se résument au mercato — tout le reste est "trop compliqué", comme l'a si bien rappelé Joan Laporta, dimanche, lorsqu'il a demandé d'approuver les comptes 2024/2025 et la réécriture de 2023/2024, sans vraiment poser trop de questions.

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