La valorisation de Barça Vision : Laporta a-t-il joué avec les comptes du Barça ?

Le FC Barcelona face à des doutes financiers sur Barça Vision, révélant une stratégie risquée de Laporta pour sauver le club.
Crédit image : FC Barcelona

Le FC Barcelona se trouve face à un sérieux dilemme financier. Dans son rapport 2023/2024, l'auditeur des comptes du club a émis des réserves sur la valorisation de 208,16 millions d'euros attribuée aux 51 % de Bridgeburg Invest détenus par le club. Ce doute vient exacerber une situation déjà marquée par des retards de paiement, une suspension de l'entrée en Bourse, et un plan d'affaires non respecté.

 

Barça Vision : une entreprise surévaluée ?

 

La filiale numérique du Barça est-elle vraiment une activité viable ? Le cabinet Grant Thornton, chargé de l'audit des comptes, a déjà fourni une réponse claire, en dépit des objections de la direction du club dirigé par Joan Laporta, qui a préféré détériorer 135 millions d'euros pour recouvrement douteux, entrainant les pertes de 91 millions de la saison dernière. Dans sa lettre, l'auditeur recommande une dépréciation de cette société, en raison de trois points clés : les problèmes de paiement des partenaires, la suspension de la cotation en Bourse, et le non-respect des objectifs du plan d'affaires initialement prévu.


Ces avertissements mettent en doute la capacité de Barça Vision à générer des revenus suffisants, remettant en cause la stratégie du club, qui vraisemblablement a surévalué ce projet pour résoudre ses besoins financiers immédiats. Alors est-ce que cette entreprise numérique est réellement surévaluée ou bien simplement victime d'une stratégie opportuniste mal exécutée ? Les éléments suivants pourraient bien pencher faveur de la première hypothèse.


Une stratégie opportuniste face à la crise


Après la gestion chaotique de l'ère Josep Maria Bartomeu et les conséquences désastreuses de la pandémie, le Barça se retrouve en 2021 avec une dette colossale de 1,2 milliard d'euros et des pertes dépassant les 100 millions d'euros pour la saison 2019/2020. L'objectif de la nouvelle direction de Joan Laporta, après avoir refinancé la dette à court terme via un prêt de 595 millions de Goldman Sachs, est alors double : réduire les coûts et augmenter les revenus, tout en se conformant aux strictes exigences financières de LaLiga.


C'est dans ce contexte qu'émerge Barça Vision, un projet numérique initialement lancé sous Bartomeu, et réadapté par Laporta, qui a vu dans le boom des NFT et du métavers une opportunité pour améliorer la situation financière du club. L'entreprise exploitant cette activité est officiellement fondée le 24 juin 2022 sous le nom de Bridgeburg Invest, S.L., avec un capital social de 3 000 euros.


Basé sur un business plan alambiqué, Barça Vision est valorisé à plus de 400 millions d'euros dès l'été 2022. Le club vend alors 49 % de cette société à deux partenaires, Socios.com et Orpheus Media, contrôlé par Jaume Roures, pour une somme totale de 200 millions d'euros. Ces transactions permettent au Barça de dégager des recettes extraordinaires de 208,16 millions d'euros correspondant à la valeur des 51 % qu'il détient de la société. En plus des plus-values émanant des ventes de participations, le Barça renforce ainsi son bénéfice record de 303 millions d'euros en 2022/2023.


Plus-values fictives et retards de paiement


Cependant, ces plus-values comptables et la valorisation de Barça Vision masquent une réalité beaucoup mois reluisante. Les 200 millions promis par Orpheus Media et Socios.com étaient échelonnés sur trois ans, et à l'été 2023, seuls 20 millions d'euros avaient été versés. Les 180 millions restants devaient être payés en trois tranches, mais les deux partenaires n'ont pas respecté le calendrier, plongeant le club dans une situation financière compliquée devant le gendarme financier de LaLiga.


Face à ces impayés, deux nouveaux investisseurs, Libero Football Finance et Vestigia, ont pris le relais en rachetant 29,5 % des 49 % détenus par Socios et Orpheus. Toutefois, les retards de paiement se sont de nouveau accumulés, notamment avec Libero, qui n'a versé aucune somme en 2023, entraînant des frictions juridiques entre le club et l'investisseur allemand.


Dans le plan d'affaire présenté lors de cette transaction, le Barça envisageait de fusionner Bridgeburg Invest à la spac Mountain & Co pour une introduction en Bourse via une nouvelle société nommée Barça Media. Les impayés de Libero ont annulé cette tentative de cotation en Bourse, renforçant ainsi les inquiétudes concernant la viabilité réelle de Barça Vision.


Par ailleurs, dans son rapport annuel 2023/2024, un exemple concret montre que les partenaires qui ont intégré dès le départ ce projet, n'y voyaient pas un intérêt, mais agissaient plutôt en tant que soutien d'un club qui devait boucler un budget lui permettant d'assurer un minimum de compétitivité sportive.


Le cas de Jaumes Roures : un soutien temporaire à un moment donné


Dans cette série d'événements rocambolesques, il est important de noter que Jaume Roures, via Orpheus Media, a initialement racheté 24,5 % de Barça Vision pour 100 millions d'euros, avec un paiement initial de 10 millions. Cependant, en août 2023, Roures a transféré la quasi-totalité de ses parts à Libero et Vestigia, ne conservant que 2,4 %, que le Barça, via Barça Producciones a rachetées courant 2024 pour 10 millions d'euros.

 

Cela signifie que Roures, après avoir transféré les 90 millions d'euros qu'il lui restait à régler aux deux nouveaux partenaires, a récupéré ses 10 millions investis via la transaction conclue avec le club lui-même. Cette démarche montre qu'il n'avait jamais eu l'intention de rester un partenaire durable. Son embarquement dans ce projet n'était qu'une aide temporaire pour soulager le club en crise de liquidité.


Par ailleurs, dans son conflit juridique avec le Barça, Libero Football Finance a une fois déclaré, concernant les 40 millions, que le club se devait de trouver de nouveaux partenaires assumant ce paiement. Autrement dit, ce paiement en retard, qui a annulé la cotation ne devait pas être réglé par Libero mais par un autre partenaire prêt à sauter le pas vers la Bourse et racheter les parts de Libero.

 

Ce partenaire a été trouvé ou du moins un autre s'est substitué temporairement à sa place malgré la suspension de la cotation. Il s'agit d'Aramark, l'entreprise gestionnaire de la restauration du futur Camp Nou. Pour un montant de 25 millions d'euros, la société de catering s'est approprié 6,13 % des 9,8 % que détenait Libero, dans une opération qui soulève également certaines interrogations. Que cherche une société de restauration dans une entreprise numérique n'ayant pas de plan d'affaires solide ?

 

La réponse n'est pas donnée, mais ce dernier rebondissement dans les transactions liées à Barça Vision, conforte le club de maintenir sa valorisation actuelle, même si Grant Thornton souligne qu'aucun document viable ne lui a été fourni pour justifier cette valorisation. Il est donc sûr que le Barça joue la montre avec LaLiga, ses socios et son auditeur en attendant d'achever son véritable ambition, à savoir l'Espai Barça.


L'Espai Barça : la véritable clé de la relance


L'analyse arrive à la conclusion que Barça Vision n'aura été qu'un outil à court terme promulgué par la direction du Barça pour tenter de se conformer aux règles du fair-play financier de LaLiga, tout en attendant que le projet clé du club, l'Espai Barça, ne prenne forme. Ce projet, qui comprend la rénovation du Camp Nou, est estimé à 1,5 milliard d'euros, et devrait générer des revenus annuels de 375 millions d'euros une fois achevé.

 

Toutefois, c'est dans un contexte financier très fragile que le Barça a décidé de son lancement. Le financement a nécessité l'émission d'obligations via un fonds de titrisation, permettant au club de lever le montant nécessaire sur les marchés financiers, sans alourdir dans le court terme sa dette contrôlée et régulée par LaLiga.


L'achèvement de L'Espai Barça devrait marquer une étape cruciale dans la relance financière du Barça, mais en attendant, des outils comme Barça Vision ont permis à Laporta de gagner du temps, en offrant une illusion de stabilité pour maintenir le club à flot. En conséquence, si le club ne réalise pas un plan d'affaires concret, Il est donc presque certain que la valeur de Barça Vision sera dépréciée dans un avenir proche comme le recommande l'auditeur. Cependant, cette dépréciation sera probablement repoussée jusqu'à ce que le club ne commence à exploiter pleinement le nouveau Camp Nou, dont les revenus supplémentaires amortiront le choc de la dévalorisation dans les comptes.


En 2023/2024, les recettes d'exploitation ont chuté à 762 millions d'euros à cause du déménagement temporaire à Montjuïc, mais des signes de reprise notamment dans le secteur commercial, montrent que le club a retrouvé son plein potentiel dans certains domaines de son activité ordinaire. Au cours de cette saison, en préparation de l'inauguration du stade rénové, le Barça a déjà activé plusieurs contrats de sponsoring et a vendu 90 % des places VIP du futur Camp Nou. Ces ventes et activations concernent bien l'avenir, pas la saison passée, ni celle en cours, à moins que le retour programmé début 2025 ne se réalise.


Ainsi, bien que Barça Vision soit un projet aux fondations fragiles, il a permis au FC Barcelona de survivre en attendant que l'Espai ne devienne la pierre angulaire de sa stratégie de redressement à long terme.

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