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Crédit image : Club Atlético Osasuna |
En 2014, le Club Atlético Osasuna traverse l'une des pires crises de son histoire. Endetté à hauteur de 42 millions d'euros, acculé par le Trésor public de Navarre, le club est contraint de céder l'ensemble de son patrimoine immobilier, dont les terrains de Tajonar et le stade El Sadar. Les audits révèlent des dettes supplémentaires de 7,1 millions, plongeant encore davantage l'entité rojilla dans l'abîme. A ce moment-là, la faillite semble inévitable.
Dix ans plus tard, Osasuna affiche une rentabilité retrouvée, une dette bancaire quasiment éteinte, et engage un plan d'investissement de 18 millions d'euros pour moderniser Tajonar, officiellement lancé le 26 mai 2025. Après avoir remboursé par anticipation les travaux de rénovation d'El Sadar, le club récupère près de 200 000 m² de terrains à Tajonar et poursuit sa stratégie de consolidation patrimoniale. Le tout sans compromettre son équilibre budgétaire.
Comment un club provincial, exsangue au milieu des années 2010 est-il parvenu à se transformer en modèle de gestion économique en LaLiga, dans un environnement pourtant marqué par l'endettement structurel et les déficits chroniques ? Retour sur une trajectoire discrète mais exemplaire, entre rigueur comptable, politique patrimoniale et ambition sportive maîtrisée.
La descente aux enfers (2014 - 2018)
En 2014, Osasuna touche le fond. Le club navarrais, alors relégué en Segunda División, présente une dette colossale de 42 millions d'euros envers le Trésor public de Navarre, à laquelle s'ajoutent 7,1 millions d'euros de passif caché, révélés par des audits ultérieurs. Cette situation, fruit d'une gestion opaque et défaillante des directions précédentes, menace la survie même du club.
Pour éviter la faillite, le club propose alors une dation en paiement de ses principaux actifs : le stade El Sadar et les installations sportives de Tajonar sont cédés au Gouvernement de Navarre, dans le cadre d'une loi de restructuration ad hoc approuvée par les socios en assemblée extraordinaire en novembre 2014. Le club conserve néanmoins une option de rachat, et s'engage à verser un loyer annuel modeste (75 000 à 150 000 euros selon la division) pour continuer à utiliser les infrastructures. En contrepartie, le Trésor public obtient des garanties sous forme de cessions des revenus : 25 % des droits TV, 25 % des transferts, et 100 % des parrainages publics.
Cette opération, surnommée "Loi Osasuna", permet un répit temporaire, mais soumet durablement les finances du club à des mécanismes de retenue automatique opérée par LaLiga, dans le cadre du contrôle économique initiée depuis 2012, jusqu'au remboursement complet de la dette.
C'est dans ce contexte chaotique que Luis Sabalza prend les rênes du club. Juriste de formation, il amorce une reconstruction institutionnelle fondée sur la transparence, la rigueur comptable et un redressement de la gouvernance. Sa priorité : rétablir la crédibilité du club auprès des socios, des autorités fiscales et de LaLiga.
Entre 2014 et 2018, Osasuna mène une politique d'austérité et de rigueur budgétaire, sans marges de manoeuvre sportives, période principalement passée en Segunda, le seul passage en Primera fut la saison 2016/2017. L'équilibre reste fragile, mais la fondation est posée. Grâce notamment à la vente de Sergio Leon au Real betis pour 3,5 millions d'euros en juin 2017, le club rojillo finalise le remboursement intégrale de la dette auprès du fisc, mettant fin à une période de mise sous tutelle fiscale.
En parallèle, le club commence à stabiliser ses charges, réduire les déficits et retrouver une trajectoire viable. Les premiers signes du redressement apparaissent, discrètement, mais durablement.
L'ascension économique (2018 - 2024)
La saison 2018-2019 marque un tournant. Champion de Segunda, Osasuna retrouve l'élite du football espagnol. Cette promotion sportive agit comme un levier économique majeur : les droits TV, principale source de revenus pour les clubs de LaLiga, passent 7,55 millions en 2018-2019 à 48,42 millions d'euros dès la saison suivante, multipliant par six les ressources du club.
Cette explosion des revenus télévisuels permet à Osasuna de repenser son modèle. Le chiffre d'affaires net bondit, passant de 13,94 millions à 57,55 millions d'euros, puis continue sa progression pour atteindre 71,21 millions d'euros en 2023-2024, malgré un léger ralentissement depuis 2022. Parallèlement, le club réussit à contenir l'inflation de ses charges, notamment salariales, pourtant en hausse avec les maintiens successifs en Primera.
La masse salariale du personnel sportif, indicateur crucial de viabilité dans l'industrie du football, reste maîtrisée : 42,44 millions en 2022-2023, puis 40,82 millions d'euros en 2023-2024, représentant environ 57 % des revenus — un ratio bien inférieur aux seuils d'alerte défini par le régulateur du football espagnol.
Malgré deux exercices déficitaire en 2021-2022 et 2022-2023, dus en partie à l'absence de grosses ventes de joueurs et à des charges d'exploitation en hausse, le club parvient à restaurer sa rentabilité en 2023-2024, affichant un résultat net positif de 2,81 millions d'euros. Cette performance est d'autant plus notable que le chiffre d'affaires reste relativement stable par rapport à l'exercice précédent (+0,4 %), soulignant la rigueur dans les gestion des charges, notamment une réduction des amortissements et une contribution décisive des plus-values sur transferts (5,10 millions d'euros).
Osasuna entre ainsi dans une nouvelle phase : celle d'un club qui, tout en consolidant sa présence sportive dans l'élite, parvient à dégager une marge bénéficiaire, condition sine qua non pour amorcer les grands investissements structurels à venir.
La récupération stratégique du patrimoine
Parallèlement à son redressement sportif et économique, Osasuna engage dès 2021 une reconquête méthodique de son patrimoine immobilier, perdu en 2014 pour échapper à la faillite. Symbole de cette stratégie, le rachat anticipé du stade El Sadar en juin 2024 marque un tournant : le club rembourse de manière anticipée les 16 millions d'euros de dettes liées à la rénovation de l'enceinte, libérant ainsi une partie significative de son passif et reprenant possession de sa forteresse historique.
Mais l'opération la plus ambitieuse concerne Tajonar, le centre d'entraînement emblématique du club. Après une première acquisition de 166 000 m² pour 6,5 millions d'euros en juillet 2024, Osasuna achète en novembre la dernière parcelle de 28 244 m² pour 4 millions d'euros, structurant le paiement sur plusieurs années. En deux transaction, le club rojillo redevient pleinement propriétaire 194 000 m² de terrains à Tajonar, renforçant son autonomie à long terme.
Ces rachats s'inscrivent dans le projet Futuro Tajonar, une vaste extension des installations sportives et administratives : construction d'un stade de 2 800 places, nouveaux terrains d'entraînement (naturels et synthétiques), et surtout un bâtiment moderne destiné à accueillir les bureaux du club et les infrastructures de l'équipe première. Ce programme, chiffré à 18 millions d'euros, est financé en partie par les fonds du plan CVC (13 millions d'euros), le reste étant autofinancé.
En reprenant le contrôle de ses actifs fonciers, Osasuna ne se contente pas de solder le passé. Il pose les fondations d'une stabilité durable, capable de soutenir sa politique de formation, sa compétitivité sportive et son indépendance économique dans un football de plus en plus polarisé.
Un modèle économique équilibré
Ce qui distingue Osasuna dans le paysage financier de LaLiga, c'est sa capacité à investir massivement sans basculer dans le surendettement bancaire. Entre 2021 et 2024, le club engage plus de 28 millions d'euros dans ses infrastructures (El Sadar et Tajonar), tout en réduisant sa dette bancaire de manière spectaculaire : de 24,2 millions d'euros en 2021/2022 à seulement 6,01 millions d'euros au 30 juin 2024, soit une baisse de 75 % en deux ans.
La clé de cet équilibre tient en partie à l'utilisation stratégique du Plan Impulso de LaLiga, adossé au fonds CVC Capital Partners. A la fin de la saison 2023-2024, Osasuna a reçu 44,2 millions d'euros, qu'il mobilise avec prudence pour financer des projets à fort effet patrimonial, sans gonfler artificiellement sa masse salariale, ni recourir à des opérations spéculatives sur le marché des transferts. Résultat : aucune dépendance structurelle au trading de joueurs et une croissance organique maîtrisée.
En parallèle, le club consolide ses fonds propres, passé de 10,17 millions en 2022-2023 à 12,09 millions d'euros en 2023-2024, première hausse depuis cinq ans. Cette amélioration reflète non seulement le retour aux bénéfices, mais aussi une politique de rigueur budgétaire centrée sur la stabilité à long terme plutôt que sur des succès ponctuels.
Osasuna affiche ainsi un modèle hybride : fortement investi dans ses actifs, faiblement exposé aux créanciers bancaires, structurellement indépendant sur le plan de la trésorerie. Une trajectoire rare dans un football espagnol encore fragilisé par les séquelles économique de la pandémie de Covid-19 et les dérives du passé.
Les défis à venir
Malgré une trajectoire économique remarquable saine, le CA Osasuna n'échappe pas à plusieurs zones de vulnérabilité structurelle. En premier lieu, la dépendance aux droits audiovisuels, qui représentent encore près de 73 % du chiffre d'affaires net du club en 2023-2024 (51,83 millions sur 71,21 millions d'euros). Ce ratio expose Osasuna à un risque significatif en cas de relégation ou de révision à la baisse des accords centralisés de LaLiga.
Deuxième points de vigilance : la soutenabilité du financement CVC. Si le club a intelligemment mobilisé les 44,2 millions d'euros du Plan Impulso, cette ressources est adossée à une cession partielle des droits audiovisuelles sur plusieurs décennies. L'enjeu, à moyen terme, sera d'amortir cet engagement tout en maintenant une dynamique de croissance sans nouvelles injections massives de capital.
Enfin, le maintien du niveau sportif reste un impératif absolu. La stabilité économique d'Osasuna repose sur la permanence en Primera, condition sine qua non pour préserver les recettes TV, les revenus liés aux abonnements (+23 % en 2023-2024), et les retombées marketing. La saison 2023-2024, marquée par un retour à la rentabilité, s'appuie sur des performances sportives solides (finale de Copa del Rey et qualification aux phases éliminatoire de la Ligue Europa Conference) difficilement garanties d'une saison à l'autre.
Le club de Pampelune a démontré sa capacité à construire un modèle viable, mais son avenir dépendra de sa résilience face aux aléas sportifs et financiers. Un défi que le club semble désormais prêt à relever.
Une leçon pour les autres clubs
L'histoire économique récente du CA Osasuna constitue un cas d'école en LaLiga. Parti d'une situation quasi désespérée en 2014, le club navarrais a su, en l'espace d'une décennie, se reconstruire sur des bases solides : rigueur budgétaire, investissements ciblés, retour progressif à la pleine propriété de ses infrastructures.
Sans céder aux sirènes d'une croissance artificielle ou d'un endettement incontrôlé, Osasuna a démontré qu'un club dit "modeste" pouvait non seulement survivre, mais s'imposer durablement dans l'élite, en conjuguant prudence comptable et ambition sportive.
A l'heure où de nombreux clubs européens luttent pour concilier compétitivité et viabilité économique, l'exemple rojillo pourrait bien devenir une sources d'inspiration. Tajonar, El Sadar et la gestion de Sabalza incarnent une idée simple mais puissante : la réussite sportive ne doit pas se faire au détriment de la santé financière, mais avec elle.
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