FC Barcelona : Une gouvernance en autarcie et des défis financiers croissants

Crédit image : FC Barcelona

L'approbation des comptes pour la saison 2023/2024 et du budget 2024/2025 par 71,4 % des socios compromisarios ayant voté a une fois de plus mis en lumière la déconnexion croissante entre la direction et la base de membres du FC Barcelona. Depuis plusieurs années, le processus démocratique censé gouverner l'un des plus grands clubs du monde s'effrite. Ce phénomène s'est encore accentué sous la présidence de Joan Laporta, où les Assemblées des Socios se sont transformés en une simple formalité, loin du débat démocratique que ce modèle associatif devait promouvoir.


Une Assemblée sous contrôle : le déclin de la démocratie associative


Depuis plusieurs années, les Assemblées des Socios, censées représenter un modèle de gestion participative et démocratique du Barça, ont progressivement perdu leur caractère de véritable forum délibératif. À l'image de la dernière assemblée, de nombreux observateurs constatent une dérive vers un processus plus symbolique qu'opérationnel, où le pouvoir décisionnel semble monopolisé par la direction, reléguant les compromisarios à un rôle secondaire.


Joan Laporta, tout en revendiquant une gestion « transparente » et « audacieuse », a lui-même contribué à cette marginalisation des socios. Lors de la dernière Assemblée, la mise en place d'un format exclusivement télématique, présenté sous le couvert d'un progrès en terme de « durabilité » et « universalité », a en réalité accentué la distanciation entre la direction et les membres. Ce format a non seulement limité la participation, mais a aussi réduit les possibilités de débats réels, transformant l'Assemblée en une simple formalité plutôt qu'en une plateforme de discussion démocratiques.


Sous des airs paternalistes, Laporta a décrit la reconnaissance des pertes financières de 90,5 millions d'euros comme un acte de grande « bravoure », omettant de répondre véritablement aux questions soulevées par les socios les plus téméraires, et en prenant soin de minimiser les critiques liées à des décisions controversées, comme l'évaluation de Barça Vision. En conséquence, le processus semble davantage servir à légitimer des décisions déjà prises en amont qu'à encourager une réflexion collective sur la gestion du club.


Cette déconnexion est encore plus manifeste lorsque des proches de la direction, comme l'économiste Xavier Sala Martin, prennent la parole dans un registre quasiment propagandiste, minimisant les critiques et relativisant le rôle des auditeurs. Sa capacité à rejeter les objections tout en réaffirmant la vision de la direction a laissé peu de place à un échange véritablement constructif. Cette attitude, bien que polie en apparence, n'a fait que renforcer l'idée que l'Assemblée n'est plus qu'une simple validation formelle des décisions prises en coulisse. Si le FC Barcelona se retrouve aujourd'hui dans une situation financière précaire, cette marginalisation des voix critiques, comme celle de l'opposition, n'y est probablement pas étrangère.


Barça Vision : un projet numérique au bord du gouffre


Barça Vision, présenté comme l'un des piliers de la stratégie de Joan Laporta a été conçu pour tirer partie de la vague des technologies numériques, notamment les NFT, le metaverse et le Web3. Laporta avait décrit ce projet comme une véritable « mine d'or », qui pourrait générer des revenus substantiels pour le club. Mais en réalité, Barça Vision n'a pas réussi à se matérialiser comme prévu, ce qui a conduit à des interrogations croissantes sur la viabilité de cette initiative.


En 2022, le club azulgrana avait transféré la majorité de ses actifs numériques à une filiale spécifique (Bridgeburg Invest) dans laquelle deux partenaires majeurs, Socios.com et Oprheus Media (le véhicule d'investissement de Jaume Roures) s'étaient engagés à investir 100 millions d'euros chacun pour acquérir 49 % de Barça Vision. Cette opération a permis au club de sauver ses comptes à l'époque, tout en facilitant l'inscription de nouveaux joueurs pour le mercato estival.


Cette vente d'actifs numériques a rapporté 200 millions d'euros, auxquels s'ajoutaient 208 millions d'euros comptabilisés en tant qu'actifs restants pour les 51 % que le club conservait. Cette valorisation élevée, portant la valeur total de Barça Vision à 408 millions d'euros, était centrale dans la stratégie financière de Joan Laporta.


Cependant, un an après l'annonce de cette transaction, le projet s'est heurté à de graves difficultés. En 2023, seulement 20 millions d'euros sur les 200 millions promis avaient été encaissés, mettant en évidence des retards de paiements substantiels de la part des partenaires. Ce problème a contraint le FC Barcelona à renégocier avec de nouveaux investisseurs pour combler les lacunes financières, en transférant des participations des deux premiers partenaires à Vestigia et Libero.


Les retards de paiement, combinés à l'effondrement général du marché des NFT et du Web3 ont poussé l'auditeur Grant Thornton à recommander une provision pour dépréciation sur les actifs de Barça Vision. Cette dépréciation tiendrait compte à la fois des impayés passés et des doutes concernant les rentrées de fonds futures. Cependant, Joan Laporta et son équipe ont refusé de réviser à la baisse l'évaluation initiale de 408 millions d'euros, insistant sur le potentiel à long terme de cette branche numérique. Une provision pour créances douteuses de 135 millions a été appliquée laissant la filiale à sa valeur de 2022.


Pour maintenir cette valorisation et apaiser les inquiétudes de l'auditeur, le Barça est actuellement en phase de due diligence avec deux nouveaux investisseurs potentiels qui devrait rejoindre Bridgeburg Invest d'ici décembre 2024. Selon les informations de la direction, l'un de ces investisseurs serait une entreprise cotée en Bourse, tandis que l'autre serait un acteur privé. Cette entrée d'investisseurs pourrait permettre de réintroduire jusqu'à 135 millions d'euros en revenus extraordinaires, ce qui renforcerait la santé financière du club à court terme et éviterait une dévaluation forcée de Barça Vision.


En parallèle, la direction a également procédé au rachat des parts de 2,4 % détenues par Jaume Roures pour 10 millions d'euros et la vente de 6,14 % de Bridgeburg Invest à Aramark pour 25 millions d'euros, soutenant ainsi une valorisation inchangée de 408 millions d'euros pour l'ensemble du projet. Toutefois, cette persistance à maintenir cette valorisation aussi élevée malgré les échecs dans la monétisation des actifs numériques pourrait conclure à des répercussions importantes si les objectifs ne sont pas atteints dans les prochains mois.


Le Spotify Camp Nou et le projet Espai Barça : un pilier à long terme, mais coûteux


Le deuxième axe critique de la stratégie de redressement financier repose sur le projet Espai Barça, qui comprend la rénovation complète du Spotify Camp Nou et l'amélioration des installations environnantes. Ce projet, évalué à 1,5 milliard d'euros, est crucial pour les perspectives de revenus à long terme du club, avec une projection de 375 millions d'euros de revenus annuels une fois la rénovation achevée.


Cependant, les travaux ont entraîné le déménagement temporaire de l'équipe première au stade Olympique de Montjuïc pour la saison 2023/2024. Ce déménagement a déjà eu un impact négatif et significatif sur les recettes du club. Alors que la direction espérait limiter les pertes, les revenus générés par les jours de match ont chuté de 25 millions d'euros, atteignant 154 millions d'euros, soit bien en dessous des prévisions initiales.


Le club table sur un retour au Camp Nou en 2025, avec une augmentation des recettes à hauteur de 28 millions d'euros par rapport à 2023/2024, grâce à une hausse des abonnements et des ventes de produits dérivés. Les abonnements devraient ainsi passer de 29,9 millions à 47,5 millions d'euros, tandis que les ventes de billets devraient se stabiliser à 86,2 millions d'euros. De plus, des revenus supplémentaires sont attendus grâce à l'augmentation des dépenses moyennes par spectateur sur la restauration, secteur confié à Aramark.


Bien que l'achèvement du Spotify Camp Nou soit essentiel pour assurer des revenus substantiels à long terme, les pressions financières à court terme restent importantes. Le financement du projet est structuré autour d'une émission obligataire étalée sur 30 ans, avec des paiements annuels qui débuteront dès la fin des travaux. Cela permet au club de ne pas alourdir son bilan immédiatement, mais expose le Barça à des risques si les prévisions de revenus ne se matérialisent pas.


Revenus commerciaux : une croissance essentielles pour la survie à court terme


Le troisième axe de la stratégie de Joan Laporta repose sur l'augmentation des revenus commerciaux, un domaine où le club espère atteindre 469 millions d'euros en 2024/2025, contre 374 millions d'euros lors de la saison précédente. Cet objectif repose sur plusieurs leviers, notamment un nouveau contrat de sponsoring avec Nike, que Laporta a présenté comme « le plus lucratif de l'histoire du football européen », ainsi que la diversification des sources de revenus à travers la branche Barça Licensing and Merchandising (BLM).



Le nouveau contrat avec Nike (toujours en attente d'officialisation), bien que ses détails financiers ne soient pas entièrement publics, est perçu comme essentiel pour l'équilibre financier du club. Il devrait permettre une augmentation significative des revenus de sponsoring. En parallèle, BLM continue d'élargir ses activités, notamment en signant de nouveaux partenariats et en augmentant les ventes de produits dérivés à travers les canaux physiques et numériques du club.


Un autre point crucial de la stratégie de Laporta concerne les revenus audiovisuels. Le budget 2024/2025 est basé sur l'hypothèse d'une qualification pour les quarts de finale de la Ligue des Champions, ce qui permettrait au club de générer environ 241 millions d'euros en droit télévisuels. Cependant, ces revenus sont également impactés par la cession de 25 % des droits de LaLiga à Sixth Street, ce qui réduit les recettes annuelles de 40 millions d'euros sur les 25 prochaines années.


Enfin, le club blaugrana doit faire face à des contraintes budgétaires immédiates liées au plafond salarial imposé par LaLiga. Pour la saison 2024/2025, la masse salariale autorisée est fixée 426,4 millions d'euros, mais LaLiga pourrait réduire ce montant de 60 millions d'euros, si de nouveaux revenus ne sont pas générés rapidement. Cette situation limite la capacité du club à recruter et à inscrire de nouveaux joueurs lors du mercato d'hiver.


En dépit de tous ces défis financiers, 452 socios sur les 602 votants ont donné le feu vert à Laporta et son équipe pour valider les comptes de la saison dernière et le budget de celle en cours. Au moment du vote 927 socios étaient connectés, ce qui fait que 294, sans explication, n'ont pas pu voter, d'autant plus 4 331 socios ont été conviés à cette assemblée sur les 144 000 que compte le club. Une telle disparité n'a fait que confirmer un phénomène de plus en plus préoccupant concernant la gouvernance du Barça.


Le club mise sur des projets financiers risqués – comme la valorisation incertaine de Barça Vision, le financement à long terme du Spotify Camp Nou et des prévisions commerciales ambitieuses. Si ces initiatives ne se concrétisent pas rapidement, les conséquences pourraient être lourdes. La stabilité financière du FC Barcelone repose sur la réussite de ces paris, bien que ces décisions soient prises et approuvées tout en étouffant les voix dissonantes.


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