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Crédit image : El Diario |
A deux ans de la date prévue d'inauguration du Nou Mestalla, le Valencia CF est en phase de finaliser une opération financière décisive. Selon plusieurs médias espagnols, le club che officialisera dans les prochaines semaines un crédit de 237 millions d'euros, structuré par Goldman Sachs via une émission obligataire sur le marché américain. Ce financement, garanti sur les revenus futurs générés par le stade, ambitionne de lever une contrainte majeure dans l'exécution du chantier : le manque de liquidité immédiate pour boucler les travaux. Mais cette annonce ne résout pas seulement une question de trésorerie : elle marque un tournant stratégique face aux fragilités structurelles du projet.
Une équation financière déréglée depuis l'origine
La relance du chantier du Nou Mestalla, officiellement confiée en janvier 2025 au constructeur FCC pour un montant de 194,6 millions d'euros hors taxes, a mis en lumière un écart majeur entre les prévisions initiales présentées par le Valencia FC. Alors que le club che annonçait un budget de 171 millions d'euros TTC, les estimations réelles établies par un audit externe indépendant commandité par la mairie de Valence ont révélé que le coût total du projet pourrait atteindre 341,4 millions d'euros toutes taxes comprises, soit près du double de l'estimation initiale, révélant un dérive budgétaire de plus de 99 %.
Ce surcoût s'explique par plusieurs angles morts : absence de lignes budgétaires pour certains équipements (notamment les 70 000 sièges que comptera le stade), oublis de travaux de réhabilitation de la structure exposée aux intempéries depuis 2009, ou encore sous-estimation de certaines exigences réglementaires comme la piste d'athlétisme municipale, pourtant contractuelle. Le chantier ne souffre pas d'un simple dépassement de budget, mais d'une insuffisance chronique de cadrage et d'anticipation, renforcée par une gouvernance complexe entre les instances locales, le club et le propriétaire Meriton Holdings.
L'apport de Goldman Sachs : levier de stabilisation ou fuite en avant ?
Le nouveau crédit de 237 millions d'euros, en cours finalisation avec l'appui de Goldman Sachs, s'inscrit dans une dynamique de refinancement progressif amorcée dès la fin 2024. A cette époque, le club avait déjà obtenu une enveloppe de 186 millions d'euros, répartie entre un prêt à long terme de 121 millions d'euros via le marché obligataire américain (USPP) et un prêt relais de 65 millions, destiné à restructurer la dette en latence auprès de CaixaBank, Gedesco et Rights & Media. Cette première manœuvre avait eu un double effet : apaiser les pressions à court terme sur la trésorerie et relancer concrètement les travaux du Nou Mestalla, gelés depuis plus de 15 ans.
Le crédit actuel porte la démarche à un niveau supérieur, en capitalisant sur l'infrastructure elle même comme actif générateur de cash-flows futurs. Le mécanisme est clair : remboursement sur 28 ans à un taux fixe de 5,8 %, ce qui représente une charge annuelle estimée à environ 13,7 millions d'euros. Pour justifier la soutenabilité de ce fardeau financier, le club fonde son plan de remboursement sur une hypothèse clé : la capacité du futur stade à dégager des revenus récurrents, principalement à travers le naming, les droits d'exploitation commerciaux et les 6 500 sièges premium gérés en partenariat avec Legends.
Mais derrière cette mécanique, une tension structurelle demeure. Le modèle repose quasi exclusivement sur des flux futurs encore incertains et non contractés. En dehors du partenariat avec Legends, aucune annonce majeure n'a pour l'instant été faite, tandis que les revenus liés à l'hospitality, bien qu'ambitieux, ne seront activable qu'à partir de 2027, et encore, sous réserve d'un calendrier de livraison respecté. En l'état, le club engage donc une dette à long terme en adossant son remboursement à un actif non encore opérationnel, dans un contexte de coûts en inflation croissante, d'incertitude réglementaires persistantes (notamment liées à la licence de construire et au centre de Benicalap) et de marges de manœuvre financières étroites.
Dans cette configuration, Goldman Sachs agit à la fois comme partenaire stratégique et catalyseur de risque. La banque américaine ne parie pas uniquement sur la solidité du club, mais sur la viabilité commerciale d'un stade encore en construction. Ce type de financement structuré par obligations sur le marché américain est fréquent dans le sport nord-américain, mais demeure rare en Europe — à fortiori chez un club dont les résultats sportifs sont en déclin et dont la gouvernance continue de susciter des critiques.
L'hospitality comme socle du modèle économique : vers un Nou Mestalla "prémiumisé"
Dans une architecture financière dominé par le levier obligataire et des projections de rentabilité différée, le partenariat signé avec Legends prend une importance stratégique majeure. Loin d'être un simple prestataire, cette société américaine — réputée pour sa gestion de revenus premium dans des projets comme le Santiago Bernabéu ou le futur Spotify Camp Nou — devient un acteur clé dans la structuration commerciale du futur Nou mestalla.
L'accord sur la commercialisation des 6 500 sièges VIP, soit plus de 9 % de la capacité totale du stade, répartis selon neuf formules différenciés : loges privées, salon d'entreprises, siège premium avec services personnalisés, zones familiales à haute valeur ajoutée, etc. Cette segmentation fine des offres permet d'adresser une typologie variée de consommateurs — des multinationales implantées à Valence aux supporters locaux fortunés — tout en maximisant le revenu unitaire par place.
Le projet prend également une dimension expérientielle avec l'ouverture, prévue pour fin 2025, d'un Experience Center. Ce showroom immersif permettra aux prospects — entreprises ou particuliers — de tester physiquement les ambiances, services et options disponibles avant la mise sur le marché effective, prévue pour l'après-été 2026. Cette approche, inspirée des meilleures pratiques de l'industrie immobilière haut de gamme, vise à transformer la décision d'achat en un acte émotionnel autant que rationnel, et à stimuler les ventes bien avant l'ouverture opérationnelle du stade, prévue à l'été 2027.
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Ce positionnement traduit une évolution claire et assumée du modèle économique du Valencia CF. Là où les recettes matchday traditionnelles (billetterie simple et abonnement) plafonnent, la stratégie actuelle s'oriente vers une activation servicielle de l'événement sportif, où la valeur repose sur l'expérience plutôt que sur la présence seule. Il s'agit d'un alignement avec les standards européens les plus avancés, où les revenus par spectateur VIP sont décuplés par rapport à une place standard.
En arrière plan, Legends n'apporte pas seulement son savoir-faire opérationnel. L'entreprise fournit également un effet de crédibilité externe dans les discussions avec les investisseurs, notamment ceux participant à l'émission obligataire organisée par Goldman Sachs. Le fait de pouvoir adosser une partie des flux futurs à un opérateur expérimenté, déjà éprouvé sur des marchés comparables, réduit l'incertitude perçue et renforce la lisibilité du business plan.
Des incertitudes réglementaires persistantes : le maillon faible de l'équation financière
Si le financement du Nou Mestalla semble désormais sécurisé sur le papier grâce à l'intervention de Goldman Sachs, les risques réglementaires restent, eux, largement non résolus - et pourraient à tout moment déstabiliser l'édifice financier laborieusement construit. La relance du chantier ne repose pas uniquement sur les flux de trésorerie et des taux d'intérêt : elle dépend aussi de la solidité juridique du projet.
Le point de friction principal concerne le centre sportif municipal de Benicalap, infrastructure complémentaire au stade et élément clé des engagements urbanistiques pris par le club envers la mairie de Valence. Un recours administratif — porté par Miguel Zorio, ex-vice-président du club blanquinegro, et le Marea Valencianista — remet en cause la légalité des permis délivrés en 2024, au motif que plusieurs documents réglementaires obligatoires seraient absents ou incomplets.
Parmi les manquements allégués :
- L'absence de garantie financière actualisée, exigée pour encadrer la viabilité du projet (que ce nouveau financement devrait régler),
- Des plans d'aménagement partiels ou non conformes,
- Et surtout, une étude archéologique lacunaire, point partiellement sensible.
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Le site du Nou Mestalla abrite en effet des vestiges industriels d'intérêt patrimonial, tels que les ruines du Molino de la Marquesa et la cheminée d'une ancienne papeterie. Selon les plaignants, le club n'aurait pas respecté les procédures d'analyse et de conservation exigées par la législation régionale. Si cette faille juridique était confirmée, elle pourrait entraîner la suspension des travaux ou pire, l'invalidation des licences conditionnelles sur lesquelles repose l'ensemble du calendrier de livraison.
Un club sous tension, mais sur la voie d'un redressement fragile
A court terme, les fondamentaux économiques du Valencia CF envoient des signaux contrastés. La saison 2023/2024 marque un tournant prudent, mais notable, dans la trajectoire financière du club. Après quatre exercices consécutifs dans le rouge, cumulant 92,3 millions d'euros de pertes, le club est parvenu à dégager un léger bénéfice de 170 000 euros. Un chiffre modeste en valeur absolue, mais symbolique d'un retour à une gestion plus rationnelle.
Ce redressement ne doit rien à une explosion des revenus, mais plutôt à une discipline budgétaire marquée. Les charges d'exploitation ont reculé de 14,8 %, principalement grâce à une maîtrise stricte de la masse salariale, plafonnée à 70,2 millions d'euros, en retrait par rapport aux standards des clubs comparable de LaLiga. Par ailleurs, la stratégie de modération sur le marché des transferts a permis d'éviter de nouveaux engagements financiers risqués. Les plus-values sur cessions de joueurs, bien que limitées (16,7 millions d'euros), ont apporté une bouffée d'oxygène bienvenue.
Mais cette embellie reste fragile. La structure du passif continue de peser lourdement sur les marges manœuvre du club. La dette brute bancaire s'élève à 120,5 millions d'euros, à laquelle s'ajoutent une dette intergroupe de 37,8 millions d'euros contractée auprès de Meriton Holdings, la société de l'actionnaire majoritaire Peter Lim. Cette dépendance au financement externe — notamment aux avances d'actionnaire — constitue un risque systémique latent, tant que le club ne parvient pas à générer des cash-flows pérennes par ses activités propres.
Une ambition restructurée, mais à surveiller
Le Nou Mestalla n'est plus un simple projet immobilier ou sportif : il cristallise l'ambition d'un renouveau économique pour le Valencia CF, dans un contexte où le club sort à peine d'une décennie marquée par l'instabilité financière et institutionnelle.
L'opération de refinancement portée par Goldman Sachs, combinée au partenariat stratégique avec Legends, constitue un tournant. Ensemble, ces initiatives dessinent un modèle économique fondé sur la création de valeur récurrente : revenus premium, naming, hospitalité, billetterie haut de gamme... Autant de leviers pensés pour réduire la dépendance aux injections de capitaux externes et retrouver une forme de souveraineté financière.
Mais cette ambition se heurtent à deux réalités :
- Une structure de coûts encore lourde, grevée par une dette importante et une faible capacité d'autofinancement.
- Un environnement réglementaire incertain, où chaque faille administrative peut potentiellement remettre en cause la viabilité du projet à moyen terme.
Autrement dit, le Valencia CF a les outils pour sortir du cycle de vulnérabilité, mais reste sous la menace constante de déséquilibres exogènes. L'année 2025 sera déterminante : si le club parvient à sécuriser définitivement son assise réglementaire, à structurer sa commercialisation premium, et à maintenir sa discipline opérationnelle, alors le Nou Mestalla pourrait devenir le catalyseur d'une relance durable — à condition de ne pas trébucher une nouvelle fois sur les détails.
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