![]() |
Crédit image : El Norte de Castilla |
La vente du Real Valladolid marque la fin d'un cycle de sept années de Ronaldo Nazario à la tête du club blanquivioleta. Derrière l'annonce officielle, les commentaires médiatiques contrastés et les réactions institutionnelles, une lecture froide des chiffres permet de comprendre plus finement le legs économique et structurel de l'ère Ronaldo. Que reste-t-il vraiment du "projet d'El Fenomeno"
Le 23 mai 2025, le Real Valladolid officialise une changement d'actionnaire majoritaire : l'ancien international brésilien, Ronaldo Nazario, cède ses parts à un groupe d'investisseurs nord-américains, représenté selon Marca par Gabriel Solares, avec le soutien financier du fonds européen Ben Oldman (Diario El Norte del Castilla). L'opération, bien que dans l'attente du CSD, scelle la sortie de l'ex-attaquant auriverde de l'actionnariat du club castillan. Si cette décision était pressentie de longue date, surtout après la vente de Cruzeiro, la brutalité du départ et l'ampleur du désenchantement local témoignent d'un écart douloureux entre les promesses initiales et les réalités observables. Les données financières disponibles sur la période 2018 - 2024 permettent désormais d'en mesurer les contours.
Un cycle de revenus erratiques et instables
Dès l'arrivée de Ronaldo Nazario à la tête du Real Valladolid en 2018, le club castillan entre dans une nouvelle ère, placée sous le signe de l'ambition. L'ancien attaquant vedette du Real Madrid et du FC Barcelona affiche un projet volontariste : inscrire durablement le club dans l'élite du football espagnol et moderniser sa gestion. Une qualification pour la Ligue des Champions était même évoquée en 2019 dans un entretien accordé à Diario AS. Pourtant, au fil des saisons, une lecture attentive des comptes et des résultats sportifs révèle un tout autre récit : celui d'un modèle économique profondément instable, dont la dépendance aux performances sur le terrain empêche toute planification durable.
Dès les premières saisons, une dépendance structurelle aux droits audiovisuels s'impose. Ces derniers représentent de 75 % à 90 % du chiffre d'affaires net selon les exercices, positionnant le club dans une situation de fragilité extrême à chaque relégation. Le sommet atteint en 2020-2021 avec 56,44 millions d'euros encaissés grâce au statut en Primera — un chiffre qui chute à 10,06 millions d'euros dès la descente la saison suivante. Cette mécanique se répète lors de la remontée de 2022-2023 puis la rechute immédiate. Le modèle de revenus fonctionnent en ascenseur : ascension brutale avec la Primera puis effondrement dès la Segunda.
Hors revenus TV, le club blanquivioleta n'a jamais su bâtir de relais de croissance solides. Les recettes matchday connaissent certes une embellie ponctuelle en 2022-2023 (7,14 millions d'euros), reflet d'un engouement au retour dans l'élite. Mais là aussi, le relégation inverse aussitôt la tendance. Même schéma pour les recettes commerciales, qui peinent à dépasser les 7,50 millions d'euros avant de régresser de moitié la saison suivante. La seule réussite notable dans ce domaine est la signature d'Adidas en tant qu'équipementier en 2020, quand le projet était à ses prémisses et que les résultats sportifs suscitait une lueur d'espoir.
Ces à-coups ne sont pas dus uniquement aux résultats sportifs : Ils reflètent surtout l'absence d'une stratégie économique à long terme. Un problème structurel du football espagnol où les clubs moyens sans infrastructures propres et sans rayonnement international sont très limités dans le développement de leviers diversification de revenus, s'appuyant toujours sur le modèle traditionnel. Le projet Ronaldo, bien que porteur d'un discours ambitieux sur la professionnalisation et le développement de marque, n'a jamais été accompagné de mécanismes permettant de lisser les effets de cycle : pas de stratégie de fidélisation massive, pas de diversification des sources de revenus, pas de montée en puissance du rayonnement commercial. Tout ou presque reste corrélé à la division dans laquelle évolue le club.
Ce manque de résilience économique, visible dès la première relégation n'a jamais été corrigé. Malgré une remontée rapide, les recettes restent volatiles, sans consolidation. A chaque fois que le club retombe en Segunda, c'est l'ensemble du modèle qui vacille. Autrement dit : en six ans, le Real Valladolid n'a jamais été en mesure d'exister économiquement en dehors de la Primera. Une réalité incompatible avec l'ambition de pérennité affichée à l'origine du projet.
Une maîtrise des coûts inconstante et une rentabilité structurellement dégradée
A mesure que le Real Valladolid tente de se consolider dans l'élite du football espagnol sous l'ère Ronaldo, sa structure de coûts devient de plus en plus difficile à maîtriser. Les dépenses salariales, en particulier, finissent par dicter la santé financière du club, bien plus que la performance sportive ou les revenus générés. Entre logique de compétition et contraintes budgétaires, l'équilibre devient intenable.
Le poste de dépense le plus sensible reste celui des salaires du personnel sportif. En 2020-2021, dernière saison pleine en Primera avant une nouvelle relégation, ce poste atteint un sommet de 46,06 millions d'euros, absorbant à lui seul près de trois quarts des recettes. Même en 2022-2023, où les revenus bondissent temporairement à 61,02 millions d'euros, la masse salariale reste écrasante (43,99 millions d'euros), réduisant à néant toute marge de manœuvre. Une telle exposition des charges aux aléas des résultats sportifs révèle une politique de gestion des joueurs sans filet : la modulation en cas de relégation n'est pas parfaite, associée à une incapacité d'adapter rapidement les contrats aux cycles compétitifs.
Les dépenses d'amortissements, elles aussi croissantes, témoignent d'un investissement qui n'a pas été compensé par des performances à la hauteur. L'amortissement annuel atteint 5,81 millions d'euros en 2022-2023, contre 1,55 millions d'euros en 2018/2019, signe d'un effort pour bâtir une équipe compétitive malgré les maigres moyens. Or, ces dépenses (37,29 millions d'euros entre 2018 et 2024) n'ont pas débouché sur une plus-value sportive ou économiques durable : le club reste engluée dans un cycle de montée et descente sans jamais asseoir une base compétitive stable.
Face à cette inflation des coûts, la rentabilité s'effondre progressivement surtout après l'arrivée de la pandémie de Covid-19. Hormis les exercices 2018-2019 et 2019-2020, ponctués par quelques ventes opportunes (notamment des plus-values de 8,25 millions d'euros en 2019-2020), la majorité des saisons s'achèvent sur un résultat net négatif. Le point bas est atteint en 2022-2023 avec déficit de 10,31 millions d'euros, alors que la plupart des clubs reprenait du poil de la bête après le passage de la pandémie, reflet d'une combinaison toxique entre relégation, masse salariale rigide et chute des revenus télévisuels. Même les 19,42 millions d'euros de plus-values en 2023-2024 — la meilleure fenêtre de vente de joueurs sous Ronaldo — ne suffisent qu'à restaurer un résultat net marginalement positif.
Ce déséquilibre chronique suggère que le Real Valladolid, sous la présidence d'El Fenomeno, n'a jamais été financièrement viable en dehors de coups ponctuels sur le marché des transferts. Le déficit structurel est masqué tant que des ventes importantes permettent d'ajuster les comptes, mais le modèle, lui, reste fondamentalement instable. A défaut d'une discipline budgétaire ou d'une stratégie de revenus alternative, le club s'est trouvé dans l'obligation d'arbitrer entre compétitivité sportive et viabilité économique, sans jamais parvenir à concilier les deux.
Une situation patrimoniale affaiblie : fonds propres négatifs, endettement croissant et trésorerie exsangue
Alors même que les discours initiaux de Ronaldo insistaient sur une professionnalisation de la gestion et une solidité accrue des bases économiques du club, le bilan comptable du Real Valladolid en fin de cycle présente une situation patrimoniale profondément détériorée. Loin d'une stabilisation, les agrégats clés du passif et de la trésorerie dépeignent un club sous tension constante, privé d'oxygène financier et sans recapitalisation durable. A vrai dire, les rares augmentations de capital (la dernière en octobre de 2024 de 6 millions d'euros) n'ont été réalisé que pour se donner de la marge sur la limite salariale imposée par LaLiga.
Dès son entrée en 2018, R9 hérite d'un club déjà fragilisé sur le plan des fonds propres, affichant un solde négatif de -6,92 millions d'euros d'euros. Si un effort initial louable a permis de rétablir une situation positive grâce aux bénéfices de 2019-2020 — une exception notable dans la période —, cette embellie n'a été que temporaire. Loin d'être consolidée, cette situation s'est ensuite dégradée au fil des saisons comme si la pandémie a cassé le moral du Fenomeno. En 2023-2024, les fonds propres culminent à -17,87 millions d'euros, soit près du triple de la situation nette initiale. A aucun moment ne semble avoir été envisagé un plan de recapitalisation significatif, ni via augmentation de capital, ni via intégration d'une stratégie d'assainissement du passif pour stabiliser le club durablement.
Sur le front du passif, les signaux d'alerte sont également manifestes. En 2023-2024, la dette exigible s'élève à 57,58 millions d'euros, dont 32,61 millions à court terme, dans un contexte où la trésorerie ne représente plus que 1,77 million d'euros. Cette chute de la trésorerie — elle était encore à 8,21 millions d'euros en 2018-2019 — rend compte de la perte de liquidité structurelle du club. Le fonds de roulement, toujours négatif, atteint -27,15 millions d'euros à la clôture de 2023-2024, traduisant une incapacité à couvrir les besoins de financement à court terme sans recourir à des ressources extérieurs ou des délais de paiement.
Dernier élément révélateur d'un modèle de plus en plus contraint : le recours à la dette bancaire. Inexistante jusqu'en 2019/2020, elle apparaît en 2020-2021 (2,94 millions d'euros) et atteint 3,96 millions d'euros en 2023-2024, alors même que le club n'a plus les garantis de revenus récurrents de Primera. Cette exposition aux marchés financiers a été réponse proactive face à la pandémie de Covid-19 mais elle est arrivée dans un contexte d'instabilité sportive renforce les risques en cas de nouvel échec sur le terrain.
Ainsi, derrière les ambitions de professionnalisation affichées au début du mandat de Ronaldo, les fondamentaux bilanciels racontent une autre histoire : celle d'un affaissement progressif de la structure patrimoniale, masqué un temps par des ventes de joueurs et des performances commerciales irrégulières, mais jamais corrigé par une stratégie de redressement de long terme.
Un désalignement profond entre promesses initiales et réalité vécue : fracture sociale et déception collective
A son arrivée à Valladolid en 2018, Ronaldo Nazario promettait un avenir radieux. Il parlait de Ligue des Champions, de modernisation des infrastructures, de professionnalisation du club et d'un ancrage territorial renouvelé. Son discours, porté par son aura international, a suscité un véritable engouement dans la ville. "Quand il est arrivé, je me suis enthousiasmé. C'était un rêve qu'une star de cette dimension s'intéresse à mon club de cœur", a témoigné sur X Óscar Puente, ancien maire de Valladolid et désormais ministre des Transports. Il voyait en Ronaldo "tout ce qu'il fallait pour faire grandir le Real Valladolid".
Mais sept ans plus tard, l'enthousiasme s'est mué en désillusion profonde. Sportivement, le club a connu trois relégations en six saisons. L'équipe sera de nouveau en Segunda la saison prochaine, après une campagne fantomatique en Primera cette saison (bon dernier avec 16 points, soit la moitié du 19e Las Palmas, avec seulement 4 victoires en 38 matchs). L'effectif est appauvri, le projet sportif décousu, et il ne reste aucune trace visible des ambitions affichées en 2018. La fameuse Ciudad Deportiva (complexe sportif), censée incarner la modernité de l'ère Ronaldo, reste un chantier inachevé, et cela malgré le fait que le club ait adhéré au Plan Impulso de LaLiga dont, l'objectif principal est la modernisation des infrastructures. La rupture a été telle que la presse locale parle aujourd'hui d'un "club sportivement relégué, socialement fracturé et économiquement en tension" (Diario AS).
Au fil du temps, la distance entre Ronaldo et Valladolid est devenue physique autant que symbolique. "Il n'était plus là depuis des mois, et plus personne ne l'attendait", résume Mario Puertas, président de la Fédération des Peñas du Real Valladolid sur les colonnes d'El Norte del Castilla. La gouvernance du club s'est éloignée de la base, sans figures locales visibles, sans dialogue réel avec les institutions ni avec les supporters. "Ils n'ont jamais compris où ils étaient. Ils ont essayer de gérer Valladolid comme s'il s'agissait du Real Madrid" regrette Ignacio Bailador, éditorialiste à Diario AS.
![]() |
Mario Puertas, président de la FPRV. Image : El Espanol |
Même la relation entre le club et la municipalité s'est dégradée. Le climat de méfiance s'est cristallisé autour du projet de la Ciudad Deportiva, resté bloqué après des années de tensions politique. Puente l'évoque comme un point de rupture : "Ils espéraient plus de collaboration, mais cela ne peut pas être interprété comme de la soumission, même si on s'appelle El Fenomeno", écrit-il avec amertume sur X.
Plus largement, la communauté de Valladolid exprime un sentiment de trahison. Ronaldo, perçu au départ comme un sauveur, est aujourd'hui vu comme un gestionnaire absent qui a laissé un club en moins bon état qu'il ne l'a trouvé. "Il est arrivé comme dans Bienvenue Mister Marshall et est reparti comme Sean Connery dans The Rock... sauf qu'il n'a pas sauvé la ville", ironise Bailador. La Fédération des Peñas en tire une leçon amère : "Si quelque chose nous a été enseigné avec Ronaldo, c'est qu'il ne faut pas dérouler le tapis rouge à n'importe qui. Le prochain propriétaire devra s'appuyer sur des gens d'ici, qui connaissent l'histoire du club pour que cela fonctionne".
La vente du club, conclue en mai 2025 à un groupe d'investisseurs nord-américains avec un financement européen, marque la fin d'un cycle. Mais plus qu'un simple changement d'actionnaire, elle est vécue comme une opération de réparation symbolique. L'espoir renaît, mais la prudence domine. Le nouveau projet devra convaincre autrement : par la transparence, la proximité et la cohérence. Ce que Ronaldo avait promis, et que Valladolid attend encore. La tâche des nouveaux investisseurs sera donc double : non seulement redresser le bilan financier en tension avec un modèle économique innovante et stabiliser la performance sportive, mais aussi, reconstruire le lien de confiance et d'ancrage locale qu'El Fenomeno n'a pas su préserver.
0 Commentaires