UD Almería : Le Triomphe du Trading, l'Échec de la Stabilité en LaLiga EA Sports.

L’UD Almería, entre succès financier fulgurant et échec sportif, retrace le projet ambitieux de Turki Al-Sheikh en Espagne.
Mohamed El Assy présentant Arvin Appiah, l'une des premières recrues du projet de Turki Al-Sheikh.
Crédit image : UD Almeria

Après un maintien arraché de justesse en 2022/2023, pour sa première saison de retour en première division, l'UD Almeria a terminé l'exercice 2023/2024 à la 19e place de LaLiga EA Sports, synonyme de relégation immédiate et la fin anticipée d'une ère. A l'arrivée de l'investisseur saoudien Turki Al-Sheikh, l'ambition du club andalou est pourtant restée claire : s'installer durablement parmi l'élite du football espagnol, en s'appuyant sur un modèle économique fondé sur la vente de joueurs pour accélérer sa croissance. En cinq saisons, l'UDA a profondément transformé son visage économique : forte hausse de ses actifs incorporels, progression continue de la masse salariale et rentabilité largement fondée sur le marché des transferts. Mais la saison 2023/2024 a marqué un retour sur terre : malgré les progrès accomplis, les réalités du terrain se sont révélées impitoyables pour un club de ce standing.

Les prémisses d'un projet personnel

C'est avec une injection de 30,77 millions d'euros, validée le 15 novembre 2019 dans le cadre d'une augmentation de capital par compensation de créances, que Turki Al-Sheikh a débuté son aventure à Almería, club qu'il avait acquis trois mois plus tôt.

Dès le départ, l'homme d'affaires a insisté sur le caractère strictement privé de son investissement, qu'il décrit comme un projet personnel sans lien direct avec le gouvernement saoudien. Une mise au point nécessaire, tant les craintes d'un "club-Etat" étaient alors vives.

Turki Al-Sheikh. Crédit image : Forbes

Comme le rappelle Mohamed El Assy, directeur général du club dans un entretien accordé à 2playbook en avril 2025 : « Ce projet est entièrement privé, car le ministre (Al-Sheikh) n'avait rien à voir avec le gouvernement saoudien. Lorsque nous sommes arrivés, beaucoup craignaient qu'il s'agisse d'un projet d'Etat. Je me souviens avoir dit que, si l'Arabie Saoudite voulait acheter un club, elle viserait plutôt le Valencia CF ou Newcastle — et quelques années plus tard, ils ont effectivement acheté Newcastle ».

En Arabie Saoudite, Turki Al-Sheikh est considérée comme une figure influente et populaire, notamment auprès des jeunes, pour son engagement en faveur de la jeunesse et du changement de mode de vie dans le Royaume. Une influence qu'il a voulue étendre au-delà du Golfe.

Sur le plan sportif, l'ambition a été rapidement affichée avec le recrutement de l’Uruguayen Darwin Núñez pour 6 millions d'euros, le 29 août 2019 — un transfert significatif en raison du potentiel avéré du joueur. L'Anglais Arvin Appiah, à peine âgé de 18 ans, vient également renforcer les rangs andalous pour 8,85 millions d'euros lors du dernier jour du mercato. Le magnat saoudien sort alors le grand jeu : en l'espace d'un an, la valeur comptable de l'effectif passe de 55 000 euros à 12,95 millions, illustrant la transformation fulgurante du club sur le plan sportif et financier.

Sur le terrain, les lois du football ont parlé. Malgré une saison très honorable, conclue à la quatrième place du championnat, l'équipe alors dirigée par le Portugais José Manuel Gomes échoue en demi-finale des play-offs d'accession contre le Girona FC, manquant de peu le retour dans l'élite.

Toutefois, c'est sur le plan financier que la transformation s'est révélée la plus spectaculaire. Malgré les contretemps liés à la pandémie de Covid-19 en mars 2020, l'UDA a doublé son chiffre d'affaires net en une saison, le portant à 18,91 millions d'euros.

L'arrivée de Turki Al-Sheikh a ravivé l'optimisme des supporters : les recettes d'abonnements sont passées de 687 000 à 1,12 million d'euros, tandis que les revenus commerciaux ont connu une envolée impressionnante. De 1,66 million en 2018/2019, ils ont bondi à 10,74 millions d'euros en 2019/2020 - un niveau supérieur à celui de plusieurs clubs de première division.

Cette croissance fulgurante n'avait toutefois rien de structurel. Al-Sheikh est arrivé en Andalousie avec un réseau de sponsors venus du Royaume d'Arabie Saoudite, entraînant un afflux massif de capitaux. Cette manne financière a permis au club de doubler sa masse salariale, portée à 14,33 millions d'euros, dans une deuxième division espagnole où les revenus des droits TV dépassent rarement les 8 millions d'euros.

Parallèlement, une véritable stratégie de trading de joueurs se met en place, avec quelques ventes notables comme celle de Luis Rioja, transféré au Deportivo Alavés pour 2 millions d'euros. Les plus-values s'élèvent à 5,03 millions d'euros, mais restent insuffisantes pour éviter un déficit de 544 000 euros. Les bases du projet sont néanmoins posées dès la saison suivante, avec la vente record de Darwin Núñez au Benfica Lisbonne pour 24 millions d'euros.

Consolidation sur le trading

Alors que LaLiga encadre strictement les contrats sponsoring, l'UD Almeria se tourne vers le marché des transferts pour soutenir son modèle agressif. Au cours des 2020/2021 et 2021/2022, durement marquées par la pandémie de Covid-19, le chiffre d'affaires net se stabilise autour des 16 millions d'euros. Les revenus audiovisuels en constituent le principal moteur (près de 8 millions), suivi par le secteur commercial, qui rapporte désormais en moyenne 6 millions d'euros par saison.

L'augmentation de capital initiale opérée par Turki Al-Sheikh a multiplié par dix les fonds propres du club, passés de 3,24 millions à 33,46 millions d'euros. Un coussin financier confortable qui a permis d'absorber les pertes et de soutenir les investissements. Dans le même temps, la masse salariale a atteint les 20 millions d'euros, tandis que la dette envers les entités sportives, quasi inexistante en 2019 (seulement 0,49 million), a grimpé à 20,58 millions d'euros au 30 juin 2022. Ce poste, qui ne représentait que 13,7 % du passif financier en 2019, en pèse désormais 45,1 %.

Mohamed El Assy, directeur général de l'UD Almeria. Crédit image : UD Almeria

« Notre plan était de commencer à vendre dès la deuxième saison. Mais les choses ont très bien démarré avec le transfert de Darwin Núñez. Nous l’avons acheté pour 6 millions d’euros et vendu dix mois plus tard pour 24 millions. Ensuite, lorsqu’il est parti de Benfica vers Liverpool deux ans plus tard, nous avons touché 10 millions supplémentaires », souligne El Assy.

« Ces 34 millions, nous les avons réinvestis dans de jeunes talents et avons construit toute une équipe. Puis nous avons continué à vendre, vendre et encore vendre, jusqu’à aujourd’hui ».

Malgré le ralentissement du marché des transferts, l'UD Almeria poursuit sa politique d'investissement : 32,83 millions d'euros sont dépensés dans l'acquisition de joueurs entre 2020 et 2022, des actifs destinés à être valorisés puis revendus avec plus-values. L'exemple le plus emblématique reste celui d'Umar Sadiq, recruté en octobre 2020 pour 9 millions et revendu à la Real Sociedad en septembre 2022 pour 20 millions.

Le Nigérian Umar Sadiq sous le maillot de l'UDA. Crédit image : UD Almeria

Les plus-values sur transferts s'améliorent d'une saison à l'autre : 5,03 millions d'euros en 2019/2020, 13,16 millions en 2020/2021, puis 10,07 millions en 2021/2022. En parallèle, l'intensification des investissements accroît mécaniquement le poids des amortissements, multipliés par deux en trois saisons, de 3,33 millions en 2019/2020 à 6,51 millions en 2021/2022.

L'actif total du club bondit ainsi de 37,13 millions d'euros en 2019/2020 à 80,29 millions au 30 juin 2022, porté par deux facteurs majeurs :

  • La forte hausse des créances liées aux ventes de joueurs, qui passent de 1,39 million (3,7 % de l'actif) à 23,61 millions (29,4 %) deux ans plus tard ;
  • et la valorisation du capital humain joueur, désormais représentant en moyenne 35 % de l'actif total.

Pour financer cette croissance massive de l'actif, les rouages classiques du football ont été activés. La dette envers les entités sportives pour achat de joueurs augmentent significativement et des mouvement de trésorerie importants accompagnent cette dynamique :

  • les décaissements pour l'acquisition d'actifs incorporels passent de 2,62 million en 2018/2019 à un pic de 28,09 millions en 2020/2021 ;
  • les encaissements liés aux ventes suivent la même trajectoire atteignant de 17,76 millions en 2020/2021.

Il n’aura pas fallu longtemps pour que le premier objectif sportif soit atteint. Après un nouvel échec en demi-finale des play-offs d’accession face au même Girona FC lors de la saison 2020/2021, l’UD Almería valide enfin son retour en première division l’année suivante, en remportant le titre champion de Segunda.

Cette montée, acquise en trois saisons, s’est toutefois accompagnée d’un déficit cumulé de 12,34 millions d’euros. Un pari coûteux, mais payant : dès la première saison dans l’élite, ce trou est rapidement comblé par les revenus substantiels générés par LaLiga EA Sports.

L'appât du gain face aux réalités de LaLiga

Le retour dans l'élite s'est accompagné d'une croissance fulgurante des revenus et des moyens d'investissement, mais aussi d'une hausse mécanique des charges. Porté par la manne des droits télévisuels44,99 millions d'euros en 2022/2023 — l'UD Almeria a vu son chiffre d'affaires net multiplié par cinq, passant de 15,88 millions à 75,29 millions d'euros. Dans le même temps, les recettes commerciales ont suivi la même trajectoire ascendante pour atteindre 25,19 millions, tandis que les autres revenus (billetterie, compétitions et abonnements) ont progressé plus modestement.

La masse salariale a doublé pour atteindre 40,36 millions d'euros, une hausse toutefois maîtrisée au regard de la nouvelle dimension du club. L'efficacité opérationnelle — soit le poids de la masse salariale sur le chiffre d'affaires net — s'établit à 53,6 %, contre 127,5 % en 2020/2021 et 138,5 % en 2021/2022.

Cette évolution traduit une gestion plus prudente après l'atteinte de l'objectif de la montée. Maintenant le nouveau but est le maintien sportif tout en consolidant la situation financière et sortir progressivement du cycle de pertes récurrentes. La même prudence est observée la saison suivante avec une masse salariale portée à 46,25 millions d'euros, malgré la baisse du chiffre d'affaires net à 66,47 millions d'euros.

Toutefois, cette stratégie n'a pas fondamentalement changé la philosophie économique du club. Présente dans la vitrine idéale qu'est LaLiga EA Sports, l'UD Almería a poursuivi sa politique axée sur la valorisation des joueurs, avec un double objectif : consolider sa place dans l'élite et générer des plus-values futures.

Le franco-malien, El Bilal Touré, recrue phare de la saison 2022/2023. Crédit image : Marca

Ainsi, les mercatos 2022/2023 combine expérience et jeunesse. Le club attire des joueurs aguerris à la première division comme Adrián Embarba (30 ans, Espanyol) et Gonzalo Melero (28 ans, Levante UD), tout en misant sur de jeunes talents à fort potentiel de revente : El Bilal Touré (20 ans, Stade de Reims), Kaiky (18 ans, Santos FC), Lázaro (20 ans, Flamengo), Marko Milovanović (18 ans, Partizan) ou encore Gui Guedes (20 ans, Vitória Guimarães).

La saison 2023/2024 marque une approche plus équilibrée sur le plan du recrutement, avec une volonté claire de consolidation de l'effectif - même si la relégation s'est finalement avérée inévitable. En l'espace de deux ans, 94,55 millions d'euros ont été investis pour renforcer l'équipe, portant, au 30 juin 2024 la valeur comptable du contingent à 69,30 millions d'euros et la dette envers les entités sportives à 59,55 millions.

En retour, la politique de trading a continué à porter ses fruits : les plus-values atteignent 19,71 millions d'euros en 2022/2023, principalement grâce à la vente d'Umar Sadiq, puis 27,41 millions d'euros en 2023/2024, notamment via la revente éclair d'El Bilal Touré, cédé un an seulement après son arrivée.

Cette quête de rentabilité rapide, fondée sur une équipe très jeune et un turnover constant des joueurs clés, ne s'accorde pas toujours avec les exigences du terrain. La stabilisation dans l'élite exige de la continuité, de la maturité sportive et souvent un sacrifice temporaire de la rentabilité.

Ce sacrifice, Almeria l'avait accepté durant sa phase d'ascension, mais une fois l'objectif atteint, le club s'est rué vers la recherche du gain. Dès sa première saison en première division, le club a affiché un bénéfice net de 15,98 millions d'euros, effaçant ainsi les pertes cumulées des trois exercices précédents consacrés à la montée. Ce résultat net s'est toutefois érodé en 2023/2024, pour tomber à 3,87 millions d'euros, le club payant le prix de sa 19e place, marquée par une baisse de près de 10 millions d'euros des revenus opérationnels.

Le désengagement d'Al-Sheikh pour un nouveau souffle

On dit qu'il est plus difficile de rester au sommet une fois qu'on l'a atteint, une vérité d'autant plus vrai dans le football pour un club comme l'UD Almeria. « Beaucoup pensent que lorsqu'un investisseur étranger arrive, c'est un "Monsieur Marshall" venu dépenser sans compter pour jouer la Ligue des Champions », explique El Assy. « Mais notre cas est très différent. Avant notre arrivée, le club se battait pour ne pas descendre en troisième division. En deux semaines, nous avons changé son visage : nous avons acheté des joueurs, rénové le stade et lancé la construction d'un complexe sportif ».

À défaut de s’être consolidée dans l’élite, l’arrivée de Turki Al-Sheikh aura profondément redynamisé l’UD Almería et le stade des Juegos Mediterráneos. En 2019, le club andalou ne comptait qu’environ 4 000 abonnés. Cinq ans plus tard, ils sont près de 15 500, un record historique atteint… lors d’une saison passée en Segunda División.

Ce retour dans l’antichambre du football espagnol a été un choc pour les supporters, mais aussi une porte de sortie pour l’homme d’affaires saoudien, qui a finalement cédé la gestion du club au fonds d’investissement SMC Group en mai 2025.

L'échec de la consolidation sportive a, en effet, directement compromis la finalité du projet. Le modèle économique porté par Turki Al-Sheikh reposait sur la valorisation continue du capital humain, devenu le principal actif du club. Bien que des efforts ont été réalisés dans la modernisation des infrastructures à travers le Plan Impulso de LaLiga, au 30 juin 2024, les droits fédératifs représentaient 45,8 % du total des actifs, tandis que les créances à recevoir sur les ventes de joueurs atteignaient 54,99 millions d'euros, soit 36,3 % du bilan.

La relégation en Segunda a mécaniquement entraîné la dépréciation de cette vitrine sportive et financière. Si l'UD Almeria a pu bénéficier de l'aide à la descente accordée par LaLiga pour limiter le déséquilibre budgétaire, l'absence de remontée immédiate à l'issue de la saison 2024/2025 a contraint le club à réduire sa masse salariale et à céder plusieurs joueurs clés afin de s'adapter à la nouvelle réalité économique de la deuxième division.

La fenêtre des transferts de l’été 2025 a été particulièrement agitée, marquée par de nombreuses ventes, dont celle de Luis Javier Suárez, meilleur buteur du club et de la Segunda División lors de l’exercice 2024/2025. En attendant la publication des comptes officiels de la saison, les données de la plateforme Transfermarkt font état de cessions cumulées à près de 60 millions d’euros au cours du dernier mercato — un volume en forte hausse par rapport à l’été 2024, où les ventes étaient restées plus mesurées dans la perspective d’un retour rapide en Primera.

Turki Al-Sheikh a démontré qu’un modèle agressif de trading de joueurs, soutenu par une injection de capital initiale ciblée, peut propulser un club de deuxième division vers une valorisation d’actifs spectaculaire et générer une rentabilité immédiate dès la première saison en élite. Les plus-values dégagées au cours des cinq saisons ont constitué un véritable modèle de business dans le football, illustrant le potentiel d’un investissement bien orchestré dans le capital humain.

Néanmoins, l’UD Almería a fini par payer le prix de ce choix : un arbitrage constant en faveur du gain financier au détriment de la maturité et de la continuité sportive. La volatilité permanente de l’effectif, indispensable à la maximisation des plus-values, a empêché le club de s’installer durablement dans l’élite, le transformant en un ascenseur financier plutôt qu’en une institution sportive stable.

Le 16 mai 2025, Turki Al-Sheikh a vendu l’UD Almería, laissant derrière lui un club profondément transformé et valorisé comme jamais auparavant. Le montant exact de la transaction reste inconnu, mais après cinq années d’investissements massifs, de trading de joueurs et de records de plus-values, il est clair que le magnat saoudien a réussi à accroître la valeur financière du club… avant de disparaître dans l’ombre du mercato.

Le fonds d’investissement SMC Group hérite aujourd’hui d’un club profondément modernisé — stade rénové, base de supporters élargie — et d’une structure financière solide grâce aux bénéfices générés en première division. L’héritage d’Al-Sheikh n’est donc pas celui d’un club durablement installé au sommet, mais celui d’une entreprise de valorisation qui a posé des bases solides pour la prochaine phase de l’histoire d’Almería.

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