Levante UD : Une restructuration en profondeur pour retrouver la stabilité économique

Le stade Ciutat de Valencia est l'un des piliers du projet de transformation structurel du club granota.
Crédit image : Levante Union Deportiva

Deux saisons après sa relégation en Segunda División, le Levante UD souhaite tourner une page délicate de son histoire. Lors de sa dernière assemblée générale des actionnaires, le club granota a dévoilé les contours d'un plan de restructuration visant à assurer sa survie financière, tout en posant les bases d'un retour durable au plus haut niveau du football espagnol.


Un contexte financier tendu, mais une volonté de redressement affirmée


La saison 2023/2024 s'est achevée sur des pertes significatives de 12,87 millions d'euros, plus du double de la saison précédente, selon le rapport financier du club  rendu public lors de l'Assemblée Générale et consulté par FEB. Une situation qui a nécessité des mesures drastiques. Le directeur général José Danvila, principal actionnaire via la société Bizas, a reconnu la gravité de la conjoncture : "il était impératif d'agir avec fermeté pour redresser la trajectoire du club".


L'absence de l'aide à la descente, qui avait rapporté 18,99 millions d'euros la saison dernière, a fortement réduit les revenus opérationnels du club. Ceux-ci ont reculé de 55,4 %, s'établissant à 17,36 millions d'euros à la clôture de la saison 2023/2024. Le chiffre d'affaires net (16,10 millions) a été plutôt stable, avec un léger recul de 9,1 % impulsé par la baisse des droits TV et des recettes sportives.


Il faut souligner également que les résultats sportifs n'ont pas été à la hauteur des ambitions. Après avoir terminé 3e en phase régulière de LaLiga Hypermotion en 2022/2023, les granotas ont manqué la promotion en LaLiga EA Sports en perdant en finale des play-offs contre le Deportivo Alavés. La saison dernière, l'équipe a fini 8e en championnat ratant la qualification pour les play-offs. Cette contre-performance s'est reflétée sur l'activité ordinaire qui s'est ventilée de la manière suivante :



Sous l'impulsion de la direction, le club a tenté de réduire ses dépenses opérationnelles afin de l'adapter à la nouvelle situation des revenus. Dans la globalité, les charges d'exploitation ont baissé de 29,6 %, s'établissant à 35,71 millions d'euros. On notera les efforts consentis pour réduire la masse salariale et les autres charges d'exploitation, qui représentent les plus gros postes de dépenses.



Toutefois, la baisse des revenus a été plus importante que celle des dépenses, ce qui a entraîné un résultat brut d'exploitation (EBITDA) négatif de 18,35 millions d'euros. Le club s'est tout de même bien activé sur le marché des transferts réalisant des plus-values de 12,97 millions d'euros, ajustant son EBITDA à -5,37 millions d'euros.



Les plus-values n'ont fait que limiter la casse, n'empêchant pas Levante de plonger dans le rouge. La dotation aux amortissements (3,15 millions), malgré la baisse de 29,5 % reflétant un manque d'investissement dans de nouveaux joueurs, a pesé sur la rentabilité opérationnelle, qui s'est érodée jusqu'à -6,13 millions. A cela s'ajoute un coût de la dette très élevé, ramenant le résultat financier à -6,74 millions et entraînant un résultat net déficitaire pour la troisième année de suite.


Une structure de la dette remodelée mais toujours pesante


La situation du Levante UD ne peut être comprise sans observer de près l’évolution de sa dette. Car si les pertes récurrentes fragilisent la rentabilité à court terme, c’est la structure même de l’endettement du club qui conditionne sa marge de manœuvre pour les saisons à venir. Et sur ce point, le diagnostic est clair : l’heure est à la réorganisation, voire à la remise à plat de certains engagements passés.


En 2023/2024, la dette globale du club s’élève à 132,81 millions d’euros, en progression de 4,1 % par rapport à l’exercice précédent. Une augmentation contenue en apparence, mais qui cache une recomposition profonde des équilibres financiers.



D’un côté, la dette à long terme recule de 13 %, essentiellement grâce à la disparition de l’encours bancaire. En parallèle, la part de la dette à court terme grimpe fortement, avec une hausse de 37,4 % sur un an. Ce glissement vers l’endettement immédiat traduit un recours massif à des financements à échéance rapprochée, souvent adossés à des revenus futurs (droits TV, transferts de joueurs ou apports de CVC à travers LaLiga Impulso).


Le club s’est ainsi appuyé sur des opérations de cession de créances avec des établissements comme la banque allemande OLB, cédant par anticipation ses droits à percevoir dans le cadre du partenariat avec le fonds CVC. À cela s’ajoutent des engagements croissants auprès de son actionnaire principal (36,8 millions à long terme, 14,3 millions à court terme), témoignant d’une stratégie de financement interne de plus en plus prégnante.



Si cette réorganisation a permis de gagner du temps et de préserver la trésorerie en période d’instabilité, elle a aussi fragilisé l’équilibre financier global du club. Le coût du financement a explosé, grevant le résultat financier annuel, tandis que l’accumulation de dettes à échéance courte accentue la pression sur les exercices futurs.



Les indicateurs de liquidité traduisent clairement cette tension : le fonds de roulement, déjà négatif à -24,15 millions d’euros en 2022/2023, s’est encore détérioré à -41,58 millions en 2023/2024. Cela montre que le club ne dispose plus de réserves suffisantes pour faire face à ses dépenses courantes et qu'il doit compter sur des rentrées d'argent rapides et constantes pour tenir à flot.


Le club a aussi vu se creuser l'écart entre ce qu'il encaisse et ce qu'il doit payer dans son fonctionnement quotidien, après une année où cet équilibre semblait presque rétabli (Besoin de fond de roulement négatif de 21,37 millions). Et avec une trésorerie nette toujours négative de 20,21 millions d'euros, Levante ne pourrait pas faire face à toutes ses dettes immédiates, même en utilisant tout l'argent qui a sous la main. En somme, l’architecture financière du Levante UD reste précaire, et ne peut s'inscrire dans la durée sans un redressement structurel.


Une dette sous contrôle pour un nouveau modèle économique


Face à l'accumulation de pertes et à l'endettement croissant du club, le conseil d'administration a jugé indispensable de changer de cap. Le directeur général José Danvila, devenu l'homme fort du Levante UD, a présenté les grandes lignes d'un plan de transformation ambitieux, à la hauteur des défis actuels. "Mucho más que fútbol" ou "Bien plus que le football" en français. Le nom est trouvé. Pour lui, le club ne peut plus se contenter de survivre au rythme des résultats sportifs : il doit devenir économiquement autonome. "Notre objectif est très clair : atteindre la solvabilité à long terme. Si nous menons ce plan à bien, la réalité du Levante sera totalement différente", a-t-il affirmé.


José Danvila expliquant son plan de restructuration lors de l'AG des actionnaires le 16 avril 2025.
Crédit image : Levante Union Deportiva

A court terme, l'urgence reste de réduire la dépendance à la dette en stabilisant la trésorerie et en refinançant les engagements les plus pressants. Mais au-delà de cet assainissement, c'est tout le modèle économique du club que le conseil veut refonder. Trois piliers doivent permettre au Levante de retrouver une viabilité durable : le développement immobiliser, l'organisation d'événements, et le renforcement de sa structure sportive.


Sur le volet immobilier, le club étudie la valorisation du stade Ciutat de Valencia ainsi que la concession du futur complexe sportif de Nazaret, deux projets conçus pour générer des revenus réguliers indépendant du terrains. En parallèle, une société dédiée Linkshow S.L., a été créée pour faire du stade une scène culturelle et festive, en y organisant spectacles, concerts ou autres événements. Ce projet de diversification ressemble à celui du Real Madrid qui a rénové le Santiago Bernabéu pour en faire un stade multifonctionnel. A mi-saison 2024/2025, l'exploitation de l'infrastructure lui a rapporté 43,92 millions d'euros.


En outre, Levante entend aussi tirer parti de ses compétences internes pour monétiser ces initiatives : la plateforme maison Tickelio, dédiée à la billetterie, commence déjà à porter ses fruits. L'idée est de sortir du modèle passif de location pour devenir un acteur à part entière de la scène événementielle valencienne. En ce sens, le club a créé un département regroupant l'exploitation du stade, la billetterie, la stratégie numérique, le retail et le sponsoring, qui, depuis mars 2024 est dirigé par Miguel Miro, un cadre ayant une longue expérience dans le développement commercial de groupes de presse.


Enfin, la structure sportive reste au coeur du projet. Même si un retour en LaLiga EA Sports accélérerait la mise en oeuvre de cette stratégie, le plan a été pensé en tenant compte des réalités de la deuxième division. Le club mise sur une montée en puissance progressive, portée par une gestion responsable, un calendrier réaliste et un engagement personnel fort de Danvila, dont la société Bizas a renoncé à percevoir les intérêts de la dette qu'elle détient.


Le plan de redressement est ambitieux, mais Levante ne souhaite pas se précipiter. Le club se donne un calendrier de cinq ans pour le mettre en oeuvre et entrevoir le chemin de la durabilité. Ceci indique qu'une éventuelle montée en première division dès le saison prochaine ne détournerait pas le club de son objectif. Effectivement, la montée est plus que probable car l'équipe est à ce jour deuxième de LaLiga Hypermotion à six journées de la fin, une position qui lui offre un ticket direct pour la première division, et en cas de déclassement, elle pourra toujours participer aux play-offs si elle reste dans les six premiers.


Depuis février 2023, Levante a le feu vert des autorités régionales pour débuter les travaux du Complexe sportif de Nazaret. Le projet reste toujours en suspens, faute de moyens.
Crédit image : 2Playbook.


Les piliers immobilier et événementiel du plan stratégique font face à des incertitudes. La demande régionale pourrait être limitée par la concurrence, notamment le Valencia CF, qui achève son nouveau stade (ouverture prévue en 2027) et ciblera des événements similaires (concerts, congrès). Levante bénéficie d’un stade opérationnel, rénové récemment, mais la finalisation du Complexe sportif de Nazaret reste le facteur X. Depuis que les autorisations municipales ont été octroyé en 2023, le club n'a pas encore débuté les travaux faute de financement. Le pilier sportif, dépendant pour le moment des plus-values de transferts, est exposé à la volatilité du marché. Une conjoncture économique incertaine pourrait aussi freiner les revenus immobiliers et événementiels.


Maintenant à quoi faut-il s'attendre cette saison ?


Une chose est sûre, Levante n'attendra pas un éventuel retour en première division pour mettre en marche sa restructuration. Elle entre en application dès cette saison, comme en témoigne le budget prévisionnel présenté aux actionnaires. Il n'y aura pas une grande révolution sur les recettes d'exploitation qui sont estimées à 17,36 millions (5,1 % de plus que la saison dernière), mais une grosse restructuration est prévue au niveau des dépenses.


Le club prévoit une réduction de 30,3 % de ses charges d'exploitation, les estimant à 24,89 millions d'euros, dont une réduction de plus de 8 millions d'euros de la masse salariale (16,19 millions prévus). Ces mesures ne remettront pas le résultat opérationnel brut (EBITDA) dans le vert, mais le club mise sa rentabilité sur le marché des transferts.


11,70 millions d'euros de plus-values sont attendues et le club a déjà fait un pas important vers cet objectif avec la vente d'Andrés Garcia à Aston Villa dont l'indemnité de transfert est évaluée à 7 millions par Transfermarkt. A cela, s'ajoute les ventes de Fabri (500 000 €) et de Mohamed Bouldini (300 000 €). Ces ventes permettront dans un premier temps de rééquilibrer l'EBITDA, attendu à 5,05 millions d'euros, tout en réduisant de 36,5 % la charges des amortissements.


Par conséquent, le résultat d'exploitation est estimé à 3,05 millions d'euros et après déduction des charges financières liées à la dette, allégées par la décision de Danvila de ne pas recouvrer ses intérêts, et la fiscalité, le club retrouvera un résultat net positif aux alentours 345 000 euros.



Ce timide retour dans le vert constituerait un premier jalon vers la durabilité, pour un club qui n'a plus connu de bénéfices depuis l'exercice 2019/2020. En quatre saisons, Levante a enchaîné les pertes pour un total de 64,23 millions d'euros. Résultat : le club a consommé toutes ses réserves financières, au point d'avoir un capital (fonds propres) négatif de 46,06 millions d'euros. L'objectif immédiat est clair : retrouver une trajectoire bénéficiaire. Et si la montée en première division venait à se concrétiser, elle ne serait plus une condition de survie, mais un formidable accélérateur pour ancrer le nouveau modèle du Levante UD dans une dynamique durable.


Une reconstruction patiente, portée par une vision à long terme


Le plan stratégique dévoilé par la direction du Levante UD marque un tournant décisif. Après plusieurs saisons à colmater les brèches et de perfusion de son actionnaire principal, le club semble vouloir reprendre la main sur son avenir, en assumant pleinement la complexité de sa situation financière. En ciblant un retour progressif à l'équilibre et en misant sur des leviers extra-sportifs comme l'immobilier et l'événementiel, les dirigeants affichent une ambition rare à ce niveau du football espagnol.


Mais ce virage ne pourra réussir sans rigueur et continuité. La montée en Primera, aussi souhaitable soit-elle, n'est plus présentée comme une condition de survie mais comme un accélérateur potentiel d'un projet plus large. C'est peut-être là le changement de paradigme le plus prometteur : ne plus bâtir une stratégie autour d'un espoir sportif incertain, mais construire une organisation capable de durer, même dans l'adversité.


Il reste maintenant à prouver que les engagements pris ne resteront pas au stade des intentions. Car pour que Levante redevienne un acteur stable et ambitieux de l'élite du football espagnol, c'est sur la durée que se jouera la crédibilité de ce renouveau.

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