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Crédit image : FC Barcelona |
Le financement du projet Espai Barça pèse désormais lourdement sur les comptes du FC Barcelona. Grâce aux données détaillées du fonds de titrisation créé pour l’occasion, Foot Espagne Business décrypte les mécanismes, les risques et les incertitudes d’un montage financier aussi ambitieux que complexe. Derrière l’envolée de la dette à 2,42 milliards d’euros, ce sont des échéances, des charges d’intérêt élevées et des revenus encore incertains qui dessinent une trajectoire fragile pour les années à venir.
Une dette en hausse, tirée par l'Espai Barça
La saison 2023/2024 du FC Barcelona s'est achevée avec une hausse significative de la dette globale. Selon les comptes consolidés arrêtés au 30 juin 2024, l'endettement total du club atteint 2,42 milliards d'euros, en progression de 12,1 % sur un an. Une augmentation largement imputable du projet Espai Barça, vaste programme de rénovation du Camp Nou et des infrastructures blaugrana.
Pour financer ce chantier, le club s'est appuyé sur une structure particulièrement sophistiquée : un fonds de titrisation, baptisé "Espai Barça, Fondo de Titulización", créé en avril 2023. Ce fonds a pour mission de lever jusqu'à 1,5 milliard d'euros en transformant en créances les revenus futurs attendus du nouveau Camp Nou (billetterie, loge VIP, activités commerciales, etc.). Ces créances sont ensuite utilisées pour émettre des obligations souscrites par des investisseurs, auxquelles viennent s'ajouter des lignes de crédit bancaires.
Les chiffres du fonds au 31 décembre 2024, analysés par Foot Espagne Business, permettent de mieux appréhender l'ampleur et la nature de ce montage. Le passif total atteint 1,19 milliard d'euros, confirmant son poids central dans la dette bancaire du club, qui s'élevait à 1,78 milliard d'euros six mois plus tôt. Les tirages sur la ligne de crédit (accordée notamment par Goldman Sachs, JP Morgan et MUFG Bank) sont passés de 224,33 millions à 332,67 millions d'euros sur l'année 2024.
Un mécanisme protecteur, mais coûteux
Cette structure de titrisation est un montage financier qui permet de limiter les risques directs pour le club. Concrètement, il s'agit d'un fonds dédié à collecter les revenus futurs attendus du nouveau stade (comme les loges VIP, la billetterie ou les concessions commerciales, etc.), puis s’en sert pour rembourser les emprunts. Ce type de fonds fonctionne comme une entité « pass-through », c’est-à-dire qu’il ne génère pas de profit : en 2024, il a encaissé 18,65 millions d’euros de revenus issus des actifs du stade déjà commercialisés à l'avance par le club, et reversé l’intégralité à ses créanciers (67,62 millions d'euros pour les obligations, 17,94 millions d'euros pour les dettes bancaires), avec un résultat net nul, généré grâce à une écriture comptable.
Ce système a un avantage clair : en cas de difficulté, c’est l’investisseur — et non le club — qui assume les pertes. Le Barca protège ainsi son compte principal d’un choc financier immédiat.
Mais cette protection a un coût. En 2024, les charges d’intérêts du fonds, égrenés ci-dessus, ont atteint 85,56 millions d’euros, contre 46,98 millions en 2023. Cette forte hausse s’explique par les taux élevés appliqués aux obligations émises. Ces conditions reflètent le niveau de risque perçu par les investisseurs. C'est la raison pour laquelle, le club n'exclut pas un refinancement, c’est-à-dire remplacer une partie de la dette du fonds par un nouvel emprunt à un taux plus bas. Cela permettrait d’alléger les paiements d’intérêts, mais risquerait aussi d’étendre la durée d’endettement, un point sensible alors que les travaux du Camp Nou ont déjà pris du retard.
Des risques supplémentaires : taux de change, dépréciation... et retard des travaux
Les comptes du fonds de titrisation font apparaître plusieurs signaux d'alerte qui n'étaient pas visibles dans les états financiers consolidés du FC Barcelona, et qui prennent une dimension nouvelle avec le retard du chantier de l'Espai Barça.
Premier risque : une perte de change nette de 27,96 millions d'euros, contre un gain de 7,69 millions en 2023. Cette perte reflète l'exposition du fonds à des obligations émises en dollars, compte tenu de la présence d'investisseurs internationaux. Ce risque de change ajoute une variable d'incertitude supplémentaire à la stabilité financière du projet.
Deuxième risque, plus structurel : les corrections de valeur pour dépréciation des actifs titrisés (les revenus futurs attendus) ont bondi à 151,65 millions d'euros, contre 58,87 millions d'euros en 2023. Une reprise partielle de 92,79 millions d'euros dans le compte de résultat du fonds tempère ce chiffre, mais le solde net reste élevé. Cette hausse reflète une réévaluation prudente de la capacité du projet à générer les revenus anticipés, en particulier dans un contexte où l'ouverture partielle du Camp Nou, initialement prévue pour deuxième moitié de la saison 2024/2025, a été reportée. Ce décalage a un impact direct sur le calendrier des flux de trésorerie, retardant d'autant les recettes commerciales nécessaires pour couvrir les charges du fonds.
Enfin, les revenus effectivement perçus par le fonds à travers les actifs titrisés restent faibles : 18,65 millions d'euros en 2024, alors même que les charges d'intérêts atteignent 85,56 millions d'euros. Cela confirme la dépendance critique aux revenus attendus après la fin des travaux, dont le nouveau délai n'est pas connu. Le retard du projet fragilise donc la trajectoire anticipée, accentuant le recours aux provisions et aux ajustements comptables.
Ces éléments confirment le manque de transparence sur les projections financières de l'Espai Barça, un point déjà soulevé par Foot Espagne Business dans l'analyse faite en novembre dernier après la publication des comptes consolidés du Barça. Même si entre temps, le club s'efforce à multiplier les partenariats et a fait des avancées notables sur la vente des loges VIP, les pertes de changes et les corrections de valeurs, loin d'être anecdotiques, témoignent d'un climat d'incertitude croissant, qui pourrait affecter la confiance des investisseurs à moyen terme.
2027/2028 : la première échéance clé
La dette du fonds est quasi exclusivement à long terme : À ce jour, 1,24 milliard d'euros à rembourser d'ici 2047, avec un premier pic de 454,14 millions d'euros dès la saison 2027/2028. En 2024/2025, quelques 910 mille d'euros sont éligibles à court terme.
Ce pic de remboursement comprend notamment l'échéance de la série A1 (95 millions d'euros) et du prêt bancaire (332,67 millions d'euros), auxquels s'ajoute une obligation en dollars (série A4, à ce jour à 26,47 millions). Le reste des séries (A2 à A8) arrive à échéance entre 2030 et 2047, avec des montants significatifs : 230 millions d'euros pour la série A2 (2041), 160 millions d'euros pour la série A3 (2047), où encore 239 millions d'euros pour la série A6 (2032). Les taux d'intérêt, compris entre 6 % et 7,2 % et le rating commun "BBB" illustrent un risque modéré mais réel pour les investisseurs.
Tout le pari repose donc sur la réouverture du Camp Nou. Les revenus commerciaux attendus devront à terme financer les remboursements. Pour l'instant, ces recettes ne représentent que 18,65 millions d'euros, ce qui reste très en dessous des besoins futurs.
Les chiffres du fonds confirment que l'Espai Barça est le principal moteur de l'envolée de la dette du Barça. Sa structure protège le club à court terme, mais aux prix d'une charge d'intérêt lourde, de pertes de change et des corrections pour pertes. Le succès du projet repose sur les revenus commerciaux du futur stade et sans perspectives chiffrées plus claires, le club navigue entre prudence à court terme et incertitude à long terme.
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