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Crédit image : FC Barcelona |
Le 27 avril 2023, le FC Barcelona a franchi une étape décisive en lançant le financement de l’Espai Barça, un projet ambitieux de 1,45 milliard d’euros pour rénover le mythique Spotify Camp Nou et moderniser ses infrastructures. Vingt mois plus tard, le fonds de titrisation créé pour porter cette opération, l’Espai Barça Fondo de Titulización, a livré son rapport annuel au 31 décembre 2024, offrant un éclairage précis sur l’évolution de ce chantier colossal. Ce document décrypte les rouages d’un montage financier novateur, ses implications comptables et les défis qu’il pose pour l’avenir du club. Voici les clés pour comprendre cette stratégie audacieuse.
L'Espai Barça : une vision ambitieuse pour l'avenir du club
Initié en 2014 sous la présidence Josep Maria Bartomeu, l'Espai Barça a dû attendre près d'une décennie pour trouver un financement à la hauteur de ses ambitions. Si l'administration précédente a réussi à inaugurer le stade Johan Cruyff en 2019, le coeur du projet – la modernisation des infrastructures emblématiques du FC Barcelona – peinait à se concrétiser faute de ressources solides. L'arrivée de Joan Laporta à la présidence a changé la donne.
En avril 2023, deux ans après son retour, Laporta et son équipe ont donné le coup d'envoi définitif de l'Espai Barça, un chantier à 1,45 milliard d'euros qui va bien au-delà de la simple rénovation du Spotify Camp Nou. Le projet englobe :
- la transformation complète du Spotify Camp Nou en un stade ultramoderne
- la construction d'un nouveau Palau Blaugrana, dédié au basket et autres sports de salle
- la requalification du Campus Barça, avec des espaces pour les supporters et des zones commerciales.
Pour financer cette entreprise colossale, le club a opté pour un fonds de titrisation, une solution ingénieuse qui préserve son modèle associatif. Ce montage permet au Barça de garder la propriété du Camp Nou, sans hypothéquer ses actifs, tout en mobilisant les fonds nécessaires pour bâtir des infrastructures à la mesure de ses ambitions. Pour les socios, c'est une garantie que le stade restera au cœur de l'identité du club.
La titrisation : un mécanisme de financement innovant
Ce mécanisme permet au club de lever des fonds sans s'endetter directement, en cédant les revenus futurs du nouveau Spotify Camp Nou – billetterie, loges VIP, naming – à un Fonds indépendant, l'Espai Barça Fondo de Titulización (EBFT). Cette entité, distincte du club emprunte sur les marchés en promettant aux investisseurs un remboursement basé sur ces revenus à venir, tout en isolant les risques juridiques. Le Barça, lui, reçoit progressivement les fonds pour avancer les travaux.
Selon, le communiqué du club du 27 avril 2023, ce financement repose sur plusieurs piliers :
- Trois tranches d'obligations : Huit obligations, totalisant 987,05 millions d'euros, ont été émises sur les marchés financiers, avec des maturités allant de 5 à 24 ans (certains refinançables après 7 à 9 ans). Ces titres de dette, portant un taux d'intérêt moyen de 5,53 %, sont adossés aux revenus futurs du stade. Par ailleurs le rapport nous informe que ces obligations sont accompagnées deux prêts bancaires de 491 millions d'euros au total avec une maturité de 5 ans.
- Remboursement différé : Le capital emprunté ne sera remboursé qu'après la livraison du stade, prévue pour 2026-2027, selon un modèle "bullet" – un paiement unique à l'échéance, la première fixée en 2028. Dès 2023, le Fonds verse toutefois des intérêts annuels aux créanciers.
- Aucune hypothèque sur les actifs : Crucial pour les socios, ce montage préserve la propriété du Camp Nou et des autres actifs du club, conformément à un vote en référendum. En évitant un financement direct, le Barça protège son patrimoine, fragilisé par une situation économique tendue depuis la crise du Covid-19 (dette bancaire de 840,66 millions d'euros en juin 2022).
- Un Fonds robuste et indépendant : Régulé par la CNMV, l'autorité espagnole des marchés, le Fonds s'appuie sur des partenaires de poids comme Goldman Sachs, JP Morgan, Legends et DLA Piper, renforçant sa crédibilité. Sa gestion est confiée à Intermoney Titulización SGFT, spécialiste dans la titrisation. Le Barça, en tant qu'entité cédante transfère les revenus du stade, qui deviennent les actifs garantissant le remboursement.
Ce montage astucieux permet au club de financer son projet d'envergure sans alourdir immédiatement ses comptes, déjà sous pression. En logeant la dette de l'Espai Barça dans une structure séparée, il mise sur les recettes à venir pour assurer la viabilité de cet investissement stratégique.
Les chiffres clés du rapport : une opération financière sous haute surveillance
Le rapport au 31 décembre 2024 de l'EBFT offre un aperçu détaillé de l'opération financière qui soutien le projet Espai Barça. Le Fonds a levé 1,34 milliard d'euros auprès d'investisseurs et de partenaires bancaires, formant une dette à long terme. De cette somme, le FC Barcelona a déjà perçu 620,95 millions d'euros, correspondant également à la valeur des revenus futurs du stade cédés au Fonds. Ces actifs titrisés représentent plus de 52 % du bilan après vingt mois d'existence.
Sur ces 620,95 millions, 108,97 millions sont classés à court terme, ce qui signifie que le club anticipe une réouverture partielle du Spotify Camp Nou dès 2025, générant des premiers revenus pour le Fonds. Les 511,98 millions restant, à long terme, s'étalent sur plus de dix ans, alignés sur les flux financiers attendus une fois le stade pleinement opérationnel.
Côté endettement, 332,67 millions d'euros proviennent des prêts bancaires subordonnés accordés par Goldman Sachs, JP Morgan, MUFG Bank (216,66 millions) et PIMCO (116 millions), remboursables en une seule fois en 2028. Le reste, soit 1,01 milliard d'euros, correspond aux huit obligations émises en avril 2023. Initialement fixé à 987,05 millions, ces obligations, dont trois en dollars, ont vu leur valeur en euros augmenter en 2024 en raison d'un taux de change défavorable.
L'échéancier de la dette se répartit ainsi : 454,14 millions d'euros arrivent à échéance en 2028, 495,85 millions d'euros entre 2028 et 2033 et 390 millions d'euros entre 2033 et 2047. Ces chiffres reflètent une stratégie de financement à long terme mais aussi une dépendance cruciale aux futurs revenus du stade pour honorer ces engagements.
Des placements pour amortir les intérêts : un équilibre financier fragile
Pour couvrir les intérêts de sa dette avant que le Spotify Camp Nou ne génère des revenus, l'EBFT a investi une partie des fonds levés en avril 2023 dans des titres financiers à rendement. Au 30 juin 2023, ces placements représentaient 702,61 millions d'euros, sur les 1,10 milliard initialement collectés. De ce montant, 208,15 millions ont été directement versés au FC Barcelona pour lancer les travaux, tandis que 717,01 millions ont servi à acquérir ces actifs financiers. A fin 2024, leur valeur a dimunié à 325,99 millions d'euros, en raison des décaissements progressifs pour le projet.
Ces placements ont généré 18,65 millions d'euros de revenus en 2024, dont 16,82 millions encaissés et 1,83 million en créances, s'ajoutant aux 8,86 millions de 2023 pour un total de 10,68 millions à recouvrer. Mais ces gains restent loin de couvrir les 85,56 millions d'euros d'intérêts dus en 2024, en hausse de 82,1 % par rapport à 2023. Depuis la création du Fonds, les intérêts cumulés s'élèvent à 132,54 millions, presque entièrement réglés, avec un solde résiduel de 0,47 million au passif.
Pour protéger sa trésorerie, le Fonds a misé sur des instruments de couverture contre la volatilité des taux d'intérêt. Initialement évalués à 49,05 millions d'euros, ces actifs ont enregistré une perte latente de 49,18 millions en 2024, en raison de l'évolution défavorable des marchés. Ces couvertures ont toutefois rapporté un gain net de 1,90 million d'euros, avec 33,21 millions encaissés contre 31,30 millions déboursés.
Malgré ces efforts, la marge d'intérêts reste négative à -65,01 millions d'euros en 2024, alourdie par un effet de change défavorable de 27,96 millions. Les charges d'exploitation, elles, chutent de 41,02 millions en 2023 à 4,73 millions en 2024, grâce à la fin des coûts initiaux de mise en place du Fonds. Les dépenses se limitent désormais aux commissions de gestion. Ce tableau financier révèle une gestion prudente, mais la pression des intérêts met en lumière la nécessité d'un stade rapidement rentable.
Neutralisation des pertes : une dette différée pour le Barça
L'EBFT affiche un résultat déficitaire, mais son objectif n'est pas de dégager des profits. Conçu pour gérer le financement de l'Espai Barça tout en isolant les flux financiers du club, il repose sur un mécanisme clé : la neutralisation automatique des gains et des pertes. Ce système garantit un résultat net comptable à zéro, en transférant les pertes (ou éventuels gains) au FC Barcelona, en tant qu'entité cédante pour un règlement futur.
En 2024, le Fonds a neutralisé un déficit de 92,79 millions d'euros, s'ajoutant aux 58,56 millions de 2023. Au total 151,65 millions d'euros de pertes cumulées devront être régularisés par le club une fois le Spotify Camp Nou opérationnel. Ce passif différé, inscrit au bilan du Fonds et qui évolue dans le temps, reflète la stratégie de protection financière du Barça à court terme, mais rappelle aussi que le club portera in fine la charge de ces déficits, une fois les revenus du stade disponibles..
Un pari audacieux pour le Barça : sécuriser l'avenir du stade
En optant pour la titrisation, le FC Barcelona a trouvé une solution ingénieuse pour financer l'Espai barça sans alourdir directement son passif. Ce montage permet au club de se concentrer sur ses activités sportives et opérationnelles du quotidien, le Fonds prenant en charge le financement au projet et le paiement des intérêts jusqu'à la réouverture du Spotify Camp Nou. Juridiquement, le club est à l'abri, financièrement, il décale les tensions.
Mais cette protection a ses limites. Le remboursement du capital emprunté repose entièrement sur les revenus futurs du stade, et c'est au club de s'assurer que ces derniers soient à la hauteur.
Le plus gros risque d'un fonds de titrisation est la surestimation des revenus à venir, l'affaire des subprimes aux Etats-Unis en 2007 en étant un exemple majeur.
Si le Camp Nou ne génère pas les recettes escomptés (247 millions d'euros par an, selon le club) le Barça devra puiser dans ses autres ressources pour combler le déficit.
Pour anticiper ce défi, le club multiplie les initiatives commerciales. Des partenariats stratégiques avec Spotify, Ambilight TV et Nike, ainsi que des accords avec des fournisseurs comme Eheim, TK Elevator, Figueras et Disano, sont déjà en place. Le levier principal reste l'offre VIP : fin 2024, le club a lancé la commercialisation des Personal Seat Licenses (PSL), permettant aux supporters d'acquérir des droits exclusifs sur des sièges premium.
Ces efforts visent un objectif crucial : rendre le stade rentable d'ici 2028, date de la première échéance majeure de 454,14 millions d'euros. Ce montant pourrait encore croître en 2025, avec l'utilisation prévue d'une dernière tranche de 108,33 millions d'euros de crédit de Goldman Sachs, JP Morgan et MUFG. Le succès de l'Espai Barça dépendra donc de la capacité du club à transformer son stade en machine à revenus.
Pas droit à l’erreur pour le Barça
L’Espai Barça Fondo de Titulización incarne une prouesse financière, permettant au club azulgrana de concilier ses ambitions infrastructurelles avec des contraintes économiques sévères. En externalisant la dette, le club préserve la propriété de ses actifs et la solidité de son modèle associatif, tout en mobilisant les fonds nécessaires pour réinventer le Spotify Camp Nou. Mais ce montage ingénieux repose sur une condition : le stade doit devenir une machine à revenus.
D’ici 2028, avec une échéance majeure à franchir, le Barça devra prouver sa capacité à rentabiliser le Camp Nou grâce à des partenariats solides et une exploitation optimisée, notamment via les offres VIP. Si ce pari protège le club à court terme, il impose une performance économique sans faille à moyen terme. Pour l’Espai Barça, l’échec n’est pas une option.
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