LaLiga face au plafond de verre du marché national : la bataille silencieuse du football en clair

Un football en clair en quête de public, de sens… et de diffuseur.
Crédit image : LaLiga

Au cœur du printemps 2025, un épisode discret mais révélateur se joue dans les coulisses de LaLiga : la commercialisation des droits audiovisuels en clair pour les saisons 2025/2026 et 2026.2027. Derrière l'apparente technicité de l'appel d'offres se dessine en creux une dynamique structurelle : la stabilisation du marché domestique espagnol et la recherche de nouveaux équilibres entre rentabilité, accessibilité et visibilité.


Une première phase décevante pour LaLiga


Le processus a débuté comme à l'accoutumée : un appel d'offres en plusieurs lots pour les droits en clair. Mais les résultats de la première phase ont surpris par leur modestie.


Le lot 4, qui comprend un match de première division en clair par journée, n'a pas trouvé preneur. Il s'agissait pourtant historiquement d'un actif valorisé autour de 14 millions d'euros. Face à l'absence d'offres, LaLiga a ouvert une seconde phase de commercialisation, abaissant le prix de réserve à 4 millions d'euros pour deux saisons, selon 2Playbook. Un ajustement drastique qui traduit bien l'écart entre les attentes initiales et la réalité du marché.


En revanche, le lot 5 (un match de deuxième division par journée) et le lot 6 (résumé de 12 minutes des matchs de première et deuxième division, incluant les play-offs d'accession) ont été provisoirement attribués à Mediapro, acteur traditionnel du football non premium. Enfin, le lot 9, consacré aux clips de 90 secondes diffusés sur internet, sera vendu en non-exclusivité.


Le football en clair : un produit en quête d'identité


La non-attribution du lot 4 n'est pas une surprise totale. Depuis plusieurs saisons, les grandes chaînes privées nationales (Mediaset, Atresmedia) ont abandonné toute prétention sur ce type de contenu, jugé peu rentable et trop localisé pour leur audience de masse. Comme le rappelait dès 2022 Jaume Roures, cofondateur de Mediapro : « le match en clair a peu de valeur en terme d'audience et de revenus commerciaux ».


L'intérêt se reporte donc sur d'autres types d'acteurs : Mediapro, qui diffuse déjà via son canal TDT et redistribue aux chaînes régionales ; ou les chaînes publiques, notamment RTVE et la FORTA, qui ont testé un modèle de diffusion partagée cette saison. Selon les estimations de 2Playbook, les chaînes régionales ne seraient pas en mesure d'engager plus de 10 millions d'euros sur deux saisons – une enveloppe cohérente avec le nouveau prix plancher.


Un marché national arrivé à maturité


Pour comprendre cette situation, il faut replacer le football en clair dans le cadre plus large de la commercialisation des droits TV. Les chiffres publiés dans les comptes annuels de LaLiga, auxquels Foot Espagne Business a eu accès, montrent une stabilité remarquable du marché national depuis quatre saisons :



Cette progression de seulement 1,6 % en quatre ans, en euros courants, révèle un marché saturé, d'autant plus que la croissance réelle est nulle une fois l'inflation prise en compte. La majorité des revenus provient des accords payants conclus avec Telefónica et DAZN (environ 990 millions d'euros sur 1,11 milliard d'euros en 2023/2024). Les autres canaux – football en clair, résumés, Horeca – représentent une part résiduelle, sans potentiel de croissance significatif.


Dans ce contexte, LaLiga ne peut plus compter sur le segment national pour générer des hausses spectaculaires. La baisse du prix de réserve du match en clair apparaît donc non pas comme un échec, mais comme une adaptation pragmatique à une réalité économique figée.


Une stratégie de segmentation et d'optimisation marginale


Plutôt que de chercher un partenaire unique et puissant, LaLiga segmente d'avantage son offre, avec des lots à valeur unitaire modeste mais hautement exploitables à l'échelle régionale ou numérique. Le match en clair peut servir de vitrine, les résumés de passerelle éditoriale, les clips de support social.


Mediapro incarne cette approche. Avec une maîtrise de la production, une chaîne propre, et un réseau de partenariats régionaux, le groupe catalan est capable de rentabiliser des actifs sous-exploités par d'autres. Son retrait du lot 4 pour l'instant peut s'interpréter comme une stratégie d'attente : soit les chaînes publiques s'organisent, soit les conditions deviennent encore plus favorables à une acquisition à bas coût.


L'international comme moteur parallèle


Pendant ce temps, les droits internationaux, eux poursuivent leur progression :



Avec une croissance de près de 6 % en quatre ans, le marché hors d'Espagne devient le véritable moteur de croissance de LaLiga. La paradoxe est frappant : pendant que le produit "match en clair national" peine à séduire chez lui, le championnat s'exporte toujours mieux à l'étranger.


Ce mouvement s'explique notamment par des accords structurants, comme le contrat signé avec ESPN aux Etats-Unis. Conclu en 2021 pour une durée de huit saisons, cet accord  rapporte environ 175 millions de dollars par an (144 millions d'euros) à LaLiga, soit un total estimé à 1,16 milliard d'euros jusqu'en 2028/2029. Il agit du plus gros contrat télévisuel international jamais signé par ligue espagnole, et d'un virage stratégique. En troquant BeIN Sports – aux audiences limitées – contre le mastodonte du groupe Disney, LaLiga s'offre une exposition démultipliée, notamment auprès de la communauté hispanophone et du grand public américain via ESPN+ et ponctuellement ABC.


Un enjeu d'image plus que de recettes


Ce nouvel appel d'offres en clair montre que LaLiga ne cherche plus à maximiser les revenus sur ce segment, mais à assurer une présence médiatique plus large dans un paysage audiovisuel fragmenté. C'est une stratégie d'écosystème, dans laquelle le produit "football en clair" est moins un levier financier qu'un actif symbolique, utile pour maintenir le lien avec un public non abonné et pour offrir aux clubs une visibilité locale.


Le processus reste ouvert jusqu'au 13 mai. D'ici là, le choix de Mediapro ou d'un groupement public comme RTVE-FORTA indiquera quel modèle LaLiga privilégiera : un modèle privé à faible coût mais agile, ou un service public garant d'un accès universel au football. Dans tous les cas, les millions ne sont plus au rendez-vous : l'heure est à l'optimisation, non à l'expansion.

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