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Avec Alicante Park, le CF Intercity veut changer d’échelle. Mais entre promesse d’un fonds doubaïote et incertitudes structurelles, le pari reste risqué. Crédit image : CF Intercity |
Le CF Intercity, club coté de Primera Federación (troisième division), a reçu fin avril une offre d'investissement de 40 millions d'euros de la part d'un fonds basé à Dubaï. Ce financement, porté par Alpha Blue Ocean (ABO), vise à concrétiser le projet Alicante Park, un complexe sportif et événementiel dont l'ambition dépasse largement le cadre du football. Si l'annonce marque une avancée significative, elle s'inscrit dans un contexte structurellement fragile, où dépendances financières, incertitudes réglementaires et promesses non encore démontrées se côtoient.
Un financement "ferme"... mais conditionné
Le 30 avril 2025, le CF Intercity a officialisé avoir reçu sa toute première offre "liée" pour financer Alicante Park : une proposition d'un montant maximal de 40 millions d'euros, émise par Global Tech Opportunities 10, un véhicule d'investissement du fonds doubaïote Alpha Blue Ocean (ABO). Cette annonce représente un tournant stratégique pour le club, à un moment où les perspectives sportives sont assombries par une relégation probable en quatrième division espagnole.
Contrairement à un apport en capital direct, ABO propose une émission de bons convertibles : un mécanisme par lequel le fonds avancerait l'argent au club sous forme de dette, avec la possibilité de les convertir ensuite en actions du CF Intercity. Cette structure financière flexible - couramment utilisée dans les marchés cotés pour éviter des levées de fonds trop dilutives en amont - présente des risques notables. Elle expose les actionnaires actuels à une dilution future, et concentre une partie du pouvoir décisionnel entre les mains de l'investisseur, à mesure que les conversions progressent.
Mais la singularité de cette offre réside moins dans son montant que dans sa condition. En effet, le club précise, à plusieurs reprises dans ses documents officiels, que la proposition d'ABO est subordonnée à la garantie personnel et patrimoniale de Salvador Martí, président du conseil d'administration du CF Intercity. Autrement dit, ABO n'engagera ni les fonds promis que si un engagement personnel du dirigeant est formellement acté.
Ce montage soulève plusieurs lectures. D'une part, il témoigne du manque de garanties institutionnelles ou opérationnelles autour du projet Alicante Park : ABO ne se fie pas uniquement aux projections de rentabilité ou à la solidité de l'actif à construire, mais à la capacité d'un homme d'assurer une forme de caution solidaire, probablement sous forme de garantie personnelle ou de nantissement d'actifs privés.
D'autre part, cette condition reflète une forme de relation asymétrique entre le club et son principal bailleur de fonds. ABO n'est pas un nouveau partenaire : il finance déjà Intercity depuis plusieurs saisons, et a récemment converti des bons en capital pour 234 375 euros. Le fonds est donc à la fois créancier et actionnaire, position qui renforce son levier d'influence sur les décisions stratégiques - y compris sur les termes du développement immobilier d'Alicante Park.
Ce point de tension n'est pas anodin, car le club annonce simultanément être en négociation avec d'autres investisseurs, et envisage trois scénarios de financement :
- Par fonds de capital-risque ou de dette privée ;
- Par émission de bons convertibles (comme proposé par ABO) ;
- Par un modèle mixte combinant les deux.
La décision finale sera soumise à une assemblée générale extraordinaire dans les semaines à venir. Elle conditionnera l'avenir du projet Alicante Park, mais aussi celui du CF Intercity, dont la structure financière actuelle - fragilisée par des pertes de plus de 7 millions d'euros sur la saison 2023/2024 - le rend dépendant de l'entrée de ressources nouvelles à très court terme.
Un projet d'ampleur porté par une ambition extérieure
Dans ce contexte incertain, Alicante Park s'affirme comme une opération structurante, à la fois pour le club et pour le territoire. Le projet, présenté comme un macro-complexe sportif et de loisirs, s'étend sur 100 000 m² dans le quartier de Rabasa à la périphérie nord-ouest d'Alicante. Il repose sur deux piliers principaux :
- Un stade de football de 5 000 places, destinés à accueillir les matchs de l'équipe première, avec une capacité extensible selon l'évolution du club et de la demande ;
- Un espace de spectacles en plein air, prévu pour accueillir plus de 20 000 personnes, avec scène permanente et sièges fixes, visant le marché des concerts et grands événements.
Le plan directeur prévoit des infrastructures partagées entre les deux enceintes, afin d'optimiser leur utilisation tout au long de l'année. Cette stratégie d'exploitation mutualisée s'inscrit dans une logique de rentabilisation intensive des équipements, et repose sur les projections établies par Legends, une société américaine réputé pour son expertise dans la gestion d'événements premium et de complexes multifonctionnels.
Selon les documents communiqués par le club et relayés dans les différents registres réglementaires, le modèle économique d'Alicante park viserait, dès sa première année d'activité, un chiffre d'affaires annuel de 8 millions d'euros, un EBITDA supérieur à 3 millions, et un impact économique global de plus de 100 millions d'euros par an pour la région. Ces chiffres ont été abondamment cités, mais aucun élément méthodologique - ni hypothèse de fréquentation, ni grille tarifaire ou taux d'occupation - n'a pour l'heure été publié.
Cette absence de transparence laisse ouverte la question de la robustesse des prévisions financières. Si Legends bénéficie d'une solide réputation internationale, l'absence de données techniques publiques empêche toute vérification indépendante de la soutenabilité du modèle.
Un foncier stratégique, mais juridiquement incertain
Sur le plan opérationnel, le club évalue à 33 millions d'euros le coût total de la construction du complexe, un montant qui inclut l'acquisition foncière et le développement des infrastructures. L'achat du terrain a été annoncée en janvier 2025 : une parcelle non loin du centre-ville, à proximité immédiate des axes autoroutiers et à moins de dix minutes de l'aéroport d'Alicante-Elche Miguel Hernández.
Cependant, cette acquisition - aussi stratégique soit elle - ne garantit pas la faisabilité immédiate du projet. Trois conditions majeures restent à réunir :
- La requalification urbanistique des terrains concernés, qui ne disposent pas encore d'un usage compatible avec une infrastructure sportive et événementielle ;
- L'obtention des permis de construire, soumise à l'approbation des autorités locales et potentiellement sujette à des délais administratifs significatifs ;
- Et surtout, le bouclage du financement, sans lequel aucune phase de construction ne pourra être lancée.
Le foncier, donc n'est pour l'instant qu'un actif immobilisé sans valeur opérationnelle. Il représente une avancée sur le plan stratégique, mais son activation dépend d'une série de validations réglementaires et financières non encore acquises.
Vers une transformation structurelle, ou un mirage de croissance ?
Par ailleurs, depuis le début de l'année 2025, le CF Intercity a progressivement renforcé la structuration de son projet en mobilisant des expertises et relais extérieurs, à commencer par la désignation de Nakamoto Partners comme conseil en levée de fonds. Cette société, fondée en 2020 et dirigée par Chus Bueno - récemment nommé administrateur indépendant du club - est spécialisé dans l'intermédiation financière et l'optimisation des revenus liés aux organisations sportives. Son mandat, validé à l'assemblée des actionnaires, couvre la recherche active d'investisseurs et la consolidation de la crédibilité financière du projet Alicante Park. Ce travail de fond a abouti à la proposition d'ABO.
Avec Alicante Park, le CF Intercity ne se contente pas de rêver plus grand : il parie sur une transformation structurelle, en s'érigeant en opérateur d'infrastructure sportives et événementielles à l'échelle régionale. Ce positionnement atypique pour un club de troisième division en difficulté sportive, reflète une ambition assumée mais aussi une fuite en avant possible : celle d'un modèle économique qui ne tient que par l'espoir d'un actif à venir.
Entre dépendance à un fonds déjà présent au capital, incertitudes réglementaires et projections financières peu documentées, la réussite du projet repose aujourd'hui moins sur la solidité des fondamentaux que sur la capacité du club à mobiliser la confiance - celle des marchés, des investisseurs, et des pouvoirs publics. Alicante Park pourrait devenir un levier décisif de mutation... ou le révélateur d'une stratégie trop fragile pour survivre à la réalité.
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