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Crédit image : Dazn |
Dans un contexte de professionnalisation accrue du football féminin espagnol, la Liga F traverse une période de transformation économique. Alors que la compétition affiche des revenus bruts en hausse grâce à des accords stratégiques avec DAZN et Mediapro – et notamment une progression de 22 % des paiements des diffuseurs – les clubs se retrouvent paradoxalement avec 23 % de revenus TV en moins par rapport à la première saison. Ce paradoxe s’explique principalement par l’évolution des coûts de production, qui, jusqu’alors, bénéficiaient d’une subvention importante du Conseil Supérieur des Sports (CSD).
La disparition de la subvention du CSD : un coût de production à assumer
Lors de la saison inaugurale (2022-2023), la production télévisuelle était largement subventionnée par le gouvernement, à hauteur d’un investissement dépassant les 2 millions d’euros. Cette aide permettait à la Liga F de présenter une offre audiovisuelle compétitive tout en allégeant la charge financière pesant sur la structure.
En 2023-2024, cette manne financière disparaît : la Liga F se voit contrainte de financer elle-même l’intégralité des coûts de production. Le résultat immédiat est une compression de la somme nette redistribuée aux clubs, qui passe de 6,2 millions d’euros bruts à seulement 4,4 millions d’euros nets, avec une moyenne d’environ 277 286 euros par équipe.
Un mécanisme de répartition aux multiples facettes
Afin de pallier aux disparités et de récompenser à la fois la régularité sportive et l’attraction médiatique, la Liga F a mis en place un système de répartition hybride qui se décompose en deux parts égales :
La part égalitaire (50 %)
Pour limiter les écarts entre les clubs, la moitié des revenus est répartie de manière égale. Cette mesure garantit qu’aucun club ne reçoit moins de 2,5 fois le montant perçu par le club le mieux rémunéré, favorisant ainsi une certaine équité dans la compétition.
La part variable (50 %)
Cette seconde moitié se subdivise en deux critères complémentaires :
- La performance sportive (25 %) : Les résultats obtenus lors des trois dernières saisons sont pris en compte, avec une pondération de 50 % pour la saison la plus récente, 30 % pour la précédente et 20 % pour celle d’il y a trois ans. Pour les clubs qui n’ont pas évolué dans la Liga F durant ces périodes, d’autres indicateurs (points obtenus, différence de buts, buts marqués) viennent compléter l’évaluation.
- L’exposition médiatique (25 %) : Ce critère, désormais incontournable à l’ère de l’image, évalue la capacité des clubs à générer des audiences télévisuelles. Afin de limiter les déséquilibres, aucun club ne peut percevoir plus de 20 % de cette part, tandis qu’un minimum de 2 % est garanti pour chaque équipe.
Outre ces mécanismes, des prélèvements spécifiques viennent également réduire le montant distribué aux clubs. Par exemple, 5 % des fonds sont réservés aux actions de promotion et de visibilité de la compétition, et 2,5 % sont affectés à une aide destinée aux clubs relégués en Primera Federación.
Des disparités bien marquées entre les clubs
Le bilan de la saison 2023-2024 révèle des écarts notables dans la répartition des revenus TV.
Le FC Barcelona reste en tête, avec environ 471 284 euros, bien que ce montant accuse une baisse de 23 % par rapport à la saison précédente. Le Real Madrid suit avec 404 632 euros, affichant une diminution de 25 %, tandis que l’Atlético de Madrid perçoit environ 327 161 euros.
Dans la tranche intermédiaire, des clubs comme le Levante UD, l’Athletic Club, la Real Sociedad et le Madrid CFF récoltent des sommes avoisinant les 270 000 à 284 000 euros. À l’extrémité inférieure, le Granada CF, club fraîchement promu, ne touche que 213 411 euros, soit moins de la moitié de ce que reçoit le Barça.
Ce système de répartition, combinant égalité et mérite, vise à créer un équilibre compétitif tout en récompensant les performances et l’attractivité médiatique, mais il se trouve actuellement fragilisé par la hausse des coûts de production.
Compensation par les revenus commerciaux et tensions juridiques
Face à la baisse des revenus TV nets, la Liga F a su diversifier ses sources de revenus. La ligue a ainsi vu son partage de revenus commerciaux exploser de 85 % pour atteindre 5,1 millions d’euros. Les partenariats avec des acteurs majeurs, notamment un accord historique avec EA Sports qui a permis de multiplier les paiements liés aux droits d’image (passant de 160 000 à 1,9 million d’euros), témoignent d’une volonté de renforcer l’autonomie financière de la compétition.
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Cependant, ces initiatives ne font pas l’unanimité. Les géants du football féminin, à l’instar du Barça et du Real Madrid, se montrent critiques vis-à-vis de certains accords commerciaux et des modalités de distribution adoptées par la Liga F. Ces deux clubs ont notamment engagé des procédures judiciaires pour contester la commercialisation conjointe des droits audiovisuels et les contrats bilatéraux jugés inadaptés aux réalités du marché.
Le Real Madrid, par ailleurs, a également remis en cause le protocole de retransmission récemment adopté, obtenant, lors d’un premier jugement, la nullité de l’accord en question et soulignant que la formulation des comptes ne reflétait pas une image fidèle de la réalité économique de la compétition.
Perspectives pour l’avenir
La saison 2024-2025 s’annonce comme une période charnière pour la Liga F. Pour la dernière fois, la compétition bénéficiera d’une subvention gouvernementale de 7,5 millions d’euros. Parallèlement, la redistribution des revenus TV se stabilise autour de 4,8 millions d’euros, dans un contexte où la Liga F doit désormais assumer l’intégralité des coûts de production.
L’essor des revenus commerciaux et des droits d’image, combiné à la nécessité de moderniser la diffusion et de renforcer la visibilité internationale – grâce notamment au partenariat avec DAZN – laisse entrevoir un avenir prometteur, mais non sans défis. Les tensions juridiques et les revendications des plus grands clubs montrent que le modèle économique du football féminin espagnol est encore en pleine construction, nécessitant une adaptation continue pour concilier équité financière, compétitivité sportive et viabilité commerciale
Le modèle économique de la Liga F, en pleine mutation, se trouve à la croisée des chemins. La disparition de la subvention du CSD et la montée en charge des coûts de production ont forcé la ligue à repenser sa répartition des revenus, au détriment des clubs, même si une diversification via des partenariats commerciaux compense en partie cette baisse.
Alors que la professionnalisation du football féminin progresse, les ajustements structurels et les tensions juridiques témoignent d’une lutte pour trouver le juste équilibre entre équité, performance et attractivité médiatique. L’évolution de ce modèle aura sans aucun doute des répercussions significatives sur l’avenir de la compétition et sur le paysage du football féminin en Espagne.
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